LE VAUCLUSE DANS LA TOURMENTE - MAI à AOUT 1944..

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LE VAUCLUSE DANS LA TOURMENTE...

 

Lorsqu'éclate la seconde guerre mondiale, les Vauclusiens ne sont pas immédiatement touchés. Bien sûr les hommes partent au combat et la vie quotidienne est profondément bouleversée, mais on n'ignore là les combats qui se déroulent bien plus au Nord. Alors lorsque les services de la défense passive imposent de creuser des tranchées et abris, d'occulter les vitres et d'éteindre les lumières la nuit tombée, les ordres ne sont pas obligatoirement suivis. Même en ce qui concerne la S.N.C.F., les consignes sont mal appliquées, voire pas appliquées du tout et celle-ci se voit adresser de multiples rappels à l'ordre. Mais la guerre avançant les choses deviennent de plus en plus difficiles. Avec l'occupation Allemande, les attentats perpétrés de plus en plus fréquemment par la résistance, les Vauclusiens découvrent le vrai visage de la guerre. Mais le plus pénible est à venir... En attendant, on fait creuser un peu partout à proximité des lieux publics des tranchées dont les parois sont renforcées de béton ou de traverses de chemin de fer. Les particuliers sont invités également à se prémunir de la sorte, dans leurs jardins ou leurs caves... les locomotives des trains sont équipées de bâches cache-lueurs pour les dissimuler aux yeux des aviateurs...

C'est l'année 1944 qui sera marquée pour le Vaucluse en général et pour Avignon en particulier, par une intense période de bombardements. Afin de préparer les futurs débarquements de Normandie et de Provence, les alliés pilonneront sans relâche (mais pas toujours avec grande précision...) les principaux nœuds ferroviaires et routiers...

En prévision d'éventuelles opérations militaires aériennes, le dépôt ainsi que les quartiers environnants doivent être protégés. Le quartier des rotondes, placé à proximité du dépôt et du triage de Fontcouverte, vaste cité ouvrière, abrite à lui seul entre 6 et 7 000 habitants, dont 500 enfants de moins de 5 ans, 850 enfants âgés de moins de 14 ans et 700 adultes inactifs! A la demande du service de la défense passive, ce secteur est classé en ZONE A (zone à risque maximum)... Le 20 avril 1944. Les population non indispensables sur lieux sont invitées à quitter le quartier... Il est grand temps... car...

 

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URGENT ET IMPORTANT

Nous vous avertissons à nouveau que les objectifs suivants sont susceptibles d'être attaqués de jour et de nuit:
- Bâtiments abritant des Etats-Majors allemands;
- Casernes occupées par les troupes allemandes;
- Usines et établissements travaillant pour l'Allemagne;
- Terrains d'aviation;
Usines fabriquant pour le compte de l'Allemagne des avions, moteurs d'avions ou pièces de rechange;
-Magasins et entrepôts réservés aux avions et aux moteurs d'avions;
- Ateliers de montage ou de réparation d'avions;
Nœuds ferroviaires en général;
- Gares de triage;
- Garage de locomotives et de matériel ferroviaire;
- Tous dépôts de matériel militaire;
- Dépôts d'essence et d'huile.

Faites tout ce que vous pouvez pour vous éloigner de tous les objectifs ci-dessus et de tous les endroits d'une importance militaire quelconque.

Evacuez, si possible, vos familles à la campagne.

Nous n'ignorons pas combien il est difficile à l'heure actuelle de suivre ces conseils, et nous savons que grand nombre de français sont dans l'impossibilité de déménager. Nous savons aussi qu'il y a beaucoup de français qui négligent de prendre les précautions élémentaires de défense passive.

Nous savons, par notre propre expérience pendant les bombardements de l'Angleterre, combien ces précautions élémentaires évitent des pertes de vies aussi tragiques qu'inutiles. N'oubliez pas aussi que, pendant les alertes si vous vous exposez, même loin des objectifs, vous risquez d'être blessés par des éclats de D.C.A.

METTEZ VOUS A L'ABRI

 

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Les mois de mai, juin, juillet et août vont être particulièrement éprouvants pour les populations et les infrastructures. C'est précisément le 27 mai, veille de la Pentecôte, que s'ouvre par le premier d'une longue série de raids aériens, une période d'enfer pour les Avignonnais. Les alliées organisent une offensive sans précédent et doivent "préparer" le terrain avant de lancer celle-ci. Cela induit en premier lieu, la destruction des infrastructures de transport ferroviaires ou routières. Il est important de couper tout moyen de ravitaillement et de déplacement aux armées ennemies. Ces objectifs stratégiques (viaducs, gares, dépôts de locomotives, mais aussi aérodromes, ports et même trains!) sont donc particulièrement visés lors de ce premier et très meurtrier bombardement. Il en est de même dans tout le Sud-Est et même on peut le dire sur tout le territoire national.

Les populations locales n'étaient pas encore habituées à ce type d'opération. D'abord surprises et décontenancées, elles vont devoir s'y soumettre durant d'interminables semaines.

27 Mai 1944, jour maudit...

La journée est belle en ce samedi matin de printemps. Chacun vaque a ses occupations. Il est 10 heures 55, lorsque des dizaines de "points brillants" sont aperçus dans le ciel clair d'Avignon. Plusieurs escadrilles sont déjà passées au dessus de la ville dans la matinée sans que rien de fâcheux ne se produise, alors peu de personnes se rendent aux abris malgré l'appel des sirènes. Mais cette fois, presque immédiatement, dans un fracas d'apocalypse, commence de premier déversement de bombes... Le bruit des explosions est assourdissant, entrecoupé de sifflements aigus. L'air est empli de fumées et de poussière. Il est irrespirable...

AVIGNON QUARTIER ST RUF 1944

Le quartier St Ruf n'est plus que ruines...

Quarante cinq minutes. 45 minutes "seulement" pourrions nous dire mais qui ont dû sembler une éternité, et le silence retombe sur la ville meurtrie. Un silence de mort... Les habitants assommés et hébétés sortent des abris dans lesquels ils s'étaient terrés à la hâte. C'est un paysage dantesque qui s'offre à leur regard. De ce qu'ils connaissaient ils ne trouvent plus rien. Les quartiers situés dans des zones proches des installations ferroviaires ont été littéralement écrasés. Les boulevards Sixte-Isnard, Denis Soulier, La Trillade, Saint-Ruf, la route de Marseille, ont subi de plein fouet le déluge de fer et de feu. Ils ne sont plus que ruines. Les maisons et les immeubles sont éventrés, les conduites crevées, l'eau gicle et fait de grandes flaques. Même spectacle hallucinant aux abords de la gare des marchandises et du viaduc sur le Rhône. Arbres déracinés, sol labouré, maisons éventrées, ne sont qu'un spectacle courant.

Malheureusement, de ces décombres de nombreux corps sont exhumés (525 morts et 800 blessés). Principale cible, le dépôt des locomotives est durement touché (124 machines d'Avignon + 21 machines de passage, garées au moment du bombardement). Des cheminots ont été tués. Une cinquantaine, pas moins, de locomotives y ont été détruites ou gravement endommagées, d'un seul coup. Des témoins font même état de machines dressées vers le ciel tels des obélisques, soulevées comme des fétus de paille par la violence des explosions. Elles soutiennent ainsi le plafond crevé des rotondes... C'est le cas de la PACIFIC 231 C 26.... Revenons quelques minutes en arrière...

UNE PACIFIC EN DIFFICULTES EN 1944

Les installations des rotondes, les ateliers, les locomotives sont détruits à 80%...

Le MECRU Fargier et le CFRU Douillet préparent leur machine sur fosse dans la rotonde Est. Le feu est monté, la machine approche du "timbre" (sa pression de service). Le train doit partir pour Marseille. L'alerte sonne et l'équipe doit abandonner sur place sa machine pour partir s'abriter "à la campagne". Les aviateurs alliés entament leur ballet de mort au dessus du dépôt. Les bombes s'écrasent sur les édifices, sur les machines... Tout à coup la Pacific, "en pression" est atteinte par un projectile de fort calibre qui a traversé la toiture et est venu se ficher quasiment au milieu de la chaudière. Sous la violence des deux explosions (celle de la bombe et celle provoquée par la vapeur) la chaudière est littéralement ouverte en deux. Les tubes des surchauffeurs tronçonnés en leur milieu et projetés vers le haut sont restés en l'air, soutenant une partie de la charpente!... La machine ne sera jamais réparée. L'atelier, les deux rotondes couvertes, bureaux, magasins, réservoirs d'eau sont complètement bouleversés. Plus de 100 points d'impact sont comptabilisés sur le dépôt!

AVIGNON DEPOT SNCF 1944

Les rotondes sont entièrement détruites. Une seule sera entièrement reconstruite après la guerre...

Un grand nombre d'ouvriers, surpris dans leur travail et n'ayant pu fuir à temps y trouvent la mort. Leur nom allonge la déjà longue liste des cheminots morts en service pour fait de guerre . En moins d'une heure 108 avions dont 80 bombardiers, partis de Salsoa en Italie, viennent d'accomplir leur triste besogne et repartent en laissant dans leur sillage plusieurs centaines de morts et plus de mille blessés. Ils ont déversé 350 T de bombes en une vingtaine de minutes, d'une altitude de 3000 à 4000 mètres. Ce raid n'est que le premier d'une longue série.

Le 6 juin, les alliés effectuent un spectaculaire débarquement en Normandie . La bataille pour le libération du territoire est engagée mais elle va coûter encore de nombreuses victimes et ruines. Les actions répétées de sabotage organisées par les résistants et les bombardements qui vont se succéder vont empêcher toute tentative de reconstruction des installations ou de réparation des locomotives. La moitié des locomotives est inutilisable jusqu'à la libération, le dépôt est sinistré à prés de 80%. Le 28 mai est déclaré journée de deuil par la municipalité d'Avignon. Les magasins, les cinémas et autres salles de spectacle, ainsi que les débits de boissons resteront fermés. Seules les buvettes de la gare sont autorisées à servir le public, mais sans terrasses.

GARE D'AVIGNON

Les buvettes de la gare sont les seules autorisées à ouvrir le 28 mai, tous les autres commerces sont fermés en signe de deuil.

Dés le 7 juin, le train rapide 51 est mitraillé au nord d'Orange. Le 15 juin, les aérodromes de Châteaublanc et d'Orange sont mitraillés, ainsi qu'un train, du coté de Bédarrides. Dix jours plus tard, Avignon subit une nouvelle et violente attaque. Cent cinquante "LIBERATORS" entament leur macabre ballet au dessus de la ville, puis déversent leurs tonnes d'explosifs sur la gare des marchandises et le viaduc du Rhône... et sur ce qu'il reste des quartiers environnants. Si le vieux pont suspendu fait les frais de l'opération, le viaduc du chemin de fer n'est pas démoli.

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VOICI CE QUI EST DIT PAR Edmond Volponi, DES EVENEMENTS DE 1944 DANS LE JOURNAL LE Provençal EN 1950.

COURTINE:

.... La drôle de guerre n'apporta pas de grands changements dans la vie du quartier. L'activité s'en était quelque peu ralentie. Mais il ne devait pas en être toujours ainsi au cours des années s'échelonnant de 1940 à 1945.
En novembre 1942, les Allemands envahirent la zone dite libre. La Provence fût occupée. Des "feldgraü" trouvèrent que le quartier de Courtine était fort bien exposé pour l'installation de plusieurs batteries de canons destinés à défendre Avignon et le Comtat, des attaques terrestres et aériennes. En cela ils n'avaient rien inventé, puisque des batteries françaises avaient été mises en place au même endroit quelques années auparavant.
Ils apportèrent des changements dans la méthode d'installation. En effet, ils enlevèrent tout ce qui les gênaient: déracinant pieds de vigne, piétinant les récoltes, coupant les arbres, etc.. De plus, ils réquisitionnèrent les fermes pour leurs troupes et entreposer leurs munitions. Les habitants de Courtine furent obligés, comme tout le monde, de supporter l'humeur belliqueuse de l'occupant, en attendant des jours meilleurs. Mais ceux-ci ne venaient pas vite et furent précédés d'épreuves douloureuses.

DIX HUIT BOMBARDEMENTS:

Avant d'aborder l'époque des bombardements, il convient de situer exactement le quartier de Courtine. Il est délimité par le Rhône, la Durance et les lignes de Chemin de Fer de Paris à Marseille (Viaduc de la Durance) et Avignon Nîmes (Viaduc sur le Rhône). Cette proximité ferroviaire était plutôt dangereuse en temps de guerre pour le quartier. On s'en rendit compte le 27 mai 1944. Les bombardiers visèrent le viaduc du Rhône. Lorsqu'ils eurent lâché leurs engins destructifs, l'ouvrage d'art n'avait pas beaucoup de mal, mais un drame humain venait de se dérouler à Courtine, comme beaucoup d'endroits en Provence ce jour là.
Le viaduc fût souvent l'objet de raids aériens. On n'en compta pas moins de 18, du 27 mai à la libération. L'ouvrage fût plus ou moins endommagé au cours de ces bombardements. Finalement les Allemands le firent sauter à la veille de la libération.

BATAILLE AERO NAVALE SUR LE RHONE

Le Rhône servait de voie de transport à l'occupant. Des porte tanks descendaient ou remontaient parfois le cours du fleuve. Il va sans dire que ces convois étaient attaqués par les éléments de l'aviation alliée. Les porte tanks avaient de quoi répondre aux assaillants et étaient munis à cet effet de batteries de D.C.A..
C'est ainsi qu'un véritable combat aéronaval opposa devant le quartier de Courtine, porte tanks allemands et avions de la Royal Air Force. les bateaux subirent des dommages et un avion anglais fût touché. Il s'abattit dans le Gard. Dans la nuit qui suivit la bataille, le Rhône baissa brusquement et les bateaux se trouvèrent enlisés, dans l'impossibilité de faire quelque manœuvre que ce soit. Ils devenaient alors une proie facile et de toute façon ils étaient perdus. Aussi, les Allemands décidèrent de les saborder. Ce qui fût fait dans un grand fracas.

LES EXECUTIONS DE PRISONNIERS ITALIENS

L'ennemi, dans une rage de vaincu, détruisit tout et cherchait à calmer sa fureur par des crimes odieux. C'est ainsi que des prisonniers italiens, dont les Allemands se servaient comme travailleurs depuis l'armistice de 1943, par le Maréchal Badoglio, furent sauvagement assassinés, sans raison apparente, pour le seul plaisir de tuer. Les malheureux furent emmenés non loin du terrain de motoculture en direction du Rhône. Un petit talus surplombe le Rhône et en dessous apparaît une petite plage. Les barbares fusillèrent les Italiens dans le dos et, au fur et à mesure des exécutions, poussaient leurs corps ensanglantés dans le Rhône. Deux prisonniers qui avaient pu s'échapper à la faveur de l'obscurité se cachaient dans les environs. Dès que les Allemands furent partis, ils avertirent les habitants des fermes environnantes de l'effroyable tuerie et les conduisirent sur les lieux de l'exécution. On parvint à retirer quelque cadavres des eaux du Rhône.

DERNIERS COUPS DE FEU

Le mois d'août fût particulièrement difficile à supporter. Les bombardements se firent plus fréquents. Deux fois par jour, les habitants de Courtine devaient se réfugier dans les tranchées creusées par eux mêmes. Les dernières émotions vinrent avec les coups de feu tirés avec les exécutions sommaires qui eurent lieu à la libération.

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Même opération le 25 juin. Cent cinquante avions déversent leur mortelle cargaison sur les gares du Pontet, le triage de Fontcouverte, la gare P.V. d'Avignon et le viaduc sur le Rhône. Quinze personnes sont tuées dont 4 à Avignon, 60 personnes sont blessées. La gare P.V. d'Avignon est très endommagée. Les voies sont coupées. De nombreux trains soit prés de 400 wagons sont détruits. Nombre d'entre eux sont des wagons foudre utilisés par les Allemands pour transporter outre Rhin des vins fins et alcools. Des wagons chargés de charbon brûlent durant 2 jours, malgré l'intervention des pompiers. Plusieurs bâtiments des cités P.L.M. de la route de Marseille sont éventrés. Des morceaux de rails sont projetés à plus de 250 mètres! Durant le mois de juin, 2 000 bombes sont larguées, 17 personnes sont tuées et 67 blessées.

AVIGNON CITE PLM 1944

Les cités PLM sont en grande partie détruites...

Le 17 juillet à 12 H 47, l'enfer dure à nouveau une demi heure. Le nombre de bombes larguées est proche de 750, 10 personnes perdent la vie dans cette opération, 20 autres sont blessées. Cent soixante deux avions attaquent les gares de Fontcouverte et St Chamand et tournent au dessus du dépôt et à proximité du viaduc qui semble résister à toute attaque, bien que touché et fortement endommagé. Les entrepôts de la S.T.E.F. sont touchés, la ligne Avignon Cavaillon est coupée. Un train de permissionnaires et de convalescents Allemands stationnant à la gare P.V. est entièrement détruit. Dés le début de l'alerte les soldats ont quitté le convoi pour s'abriter dans les campagnes, mais 18 d'entre eux sont tués et 73 blessés. Les 18 et 25, la voie ferrée est copieusement mitraillée entre Orange et Courthézon, ainsi que la gare d'Orange.

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VOICI CE QUI EST DIT PAR Victor Nathan, DES EVENEMENTS DE 1944 DANS LE JOURNAL LE PROVENçAL EN 1950.

SAINT RUF:

Lorsque la guerre survint, Saint Ruf vit bon nombre de ses enfants quitter leur foyer, abandonner famille occupation, pour répondre à l'appel de la Nation. Comme partout en France, à ce moment on espérait que leur absence serait de courte durée et que, une fois la guerre victorieusement terminée, on pourrait fêter dignement leur retour.
Personne, évidemment, ne se doutait que ce retour était encore lointain, et que bien des vicissitudes et des souffrances marqueraient Saint Ruf d'une empreinte profonde avant que luise l'aube tant espérée de la libération.
L'armistice de juin 1940 et les prisonniers que l'Allemagne retient derrière les barbelés des camps, sont un brutal rappel à la réalité. Puis c'est l'occupation et son cortège habituel de contraintes, de brimades et de terreur. Le S.T.O. et les déportations creusent encore des vides et désormais Saint Ruf vit dans l'inquiétude et l'attente.
Mais petit à petit l'évolution favorable de la guerre permet d'entrevoir une fin prochaine à tous les maux. Une fois de plus les événements se chargent de dissiper les illusions rassurantes et, le 27 mai 1944, les bombes qui martèlent et écrasent Saint Ruf lui rappellent sous un déluge de feu, que la guerre n'est pas finie...

Le 27 mai est un samedi. La journée s'annonce radieuse et les pronostics vont bon train car le grand prix d'Avignon se courra dimanche. Aussi, lorsque vers 10 heures les sirènes mugissent lugubrement pour inviter les populations à gagner les abris, peu de personnes obtempèrent. Bien au contraire, les gens sur le pas de leurs portes ou même rassemblés en groupes, admirent les évolutions des appareils qui mettent des éclairs argentés dans le bleu du ciel. Leur ronronnement n'a rien de menaçant et deux vagues d'avions passent sur Avignon sans jeter de bombes. A 10 h 10, une troisième vague est accueillie avec la même indifférence. Lorsque le bruit sourd des détonations qui pulvérisent l'usine Vouland, fait enfin comprendre que les choses se gâtent pour la cité des Papes.

Les bombardiers américains qui évoluent à haute altitude du fait qu'ils ont déjà essuyé le feu des batteries anti aériennes d'Orange et dont le but est le dépôt des rotondes, éparpillent leurs bombes sur une large surface et Saint Ruf à le triste privilège d'en récolter une grande partie. Comme animées d'une rage destructive et meurtrière, elles s'acharnent sur le paisible quartier, qu'en quelques instants elles transforment en décor apocalyptique. Les gens fuient affolés parmi les éclatements de plus en plus fréquents au milieu du fracas des immeubles qui s'écroulent autour d'eux comme au plus fort d'un tremblement de terre. Un nuage de poussière de plus en plus opaque, troué par la lueur fulgurante des explosions, cache le soleil. Sous l'avalanche maudite, qui le pétrit et le ravage, Saint Ruf craque et gémit comme pris de convulsions.

Lorsqu'enfin, le bruit lancinant des moteurs s'éloignent et que le nuage est dissipé, l'étendue de la catastrophe qui a frappé leur quartier apparaît dans toute son horreur aux premiers habitants qui s'aventurent sur les lieux. Saint Ruf si gai, si joyeux autrefois, n'offre plus qu'un spectacle de désolation intense. Des immeubles entiers ont été fauchés et l'horizon s'est élargi à perte de vue. Des décombres encore fumants, montent les plaintes des blessés, tandis que le ciel éclatant, le soleil de mai poursuit sa course, faisant jouer les ombres sur les ruines.
Mais les lamentations ne servent à rien et il faut avant tout porter secours au victimes et le bilan s'avère désastreux, tant au point de vue dégâts matériels que pertes en vies humaines. Le centre et les alentours de la place des écoles ont terriblement écopé. Des maisons qui abritaient tant de foyers heureux, des commerces qui avaient été prospères, seuls quelques pans de murs branlants subsistent au milieu d'un amoncellement chaotique de moellons, briques, tuiles, poutres et ferrailles, inextricablement enchevêtrés.

Plus cruelles encore et plus douloureuses, parce qu'irréparables, les vies humaines fauchées brutalement frappent de stupeur les survivants. Par une triste ironie du sort, un enterrement qui sortait de l'église Saint Ruf est atteint par les bombes qui font une trentaine de victimes. Impasse Magali, dix personnes trouvent la mort dans la maison du charbonnier, chez lequel elles s'étaient réfugiées. Pendant plusieurs jours, les équipes de déblayeurs découvrent de nouveaux cadavres qui semblent révulsés dans un ultime sursaut d'épouvante. Parmi les victimes, la mort de René Allemand, champion cycliste de Vaucluse, figure populaire et sympathique, jette la consternation dans les milieux sportifs. Dans les jours qui suivent, Saint Ruf se consacre à la tâche de déblayer les décombres et d'enterrer les morts. Il y a bien des alertes de temps en temps mais la dure leçon a porté ses fruits et on se méfie. Une dernière épreuve cependant marque la route vers la libération. En effet, le 2 août, après une fausse alerte, vers 10 heures du matin, de nouveau aux approches de midi, les bombes s'abattent. Cette fois, c'est l'entrée vers la porte Saint Michel qui voit s'accumuler les destructions, tandis que d'autres immeubles s'effondrent qui faisaient partie intégrante de cette infortunée partie d'Avignon.

Et, lorsqu'enfin la Libération arrive quelques semaines plus tard, Saint Ruf qui se recueille et pleure, tourne malgré tout ses regards vers l'avenir...

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Au mois d'août, il ne se passe pas de journée sans que l'alerte ne soit sonnée et que bombes et obus n'explosent sur le sol Avignonnais. Le viaduc du Rhône est particulièrement visé. Avignon va souffrir mille morts essentiellement à cause de lui. Malgré des attaques à la bombe, à la mitrailleuse ou à l'aide de projectiles de gros calibre, il se dresse toujours fièrement à la face des attaquants. Malgré ses "blessures" il reste tout à fait utilisable. La précision des attaque est tellement mauvaise que ce sont plutôt les quartiers de Courtine et de La Murette qui subissent les plus gros dégâts. Le 2 vers 13 H, les viaducs du Rhône et de la Durance sont pris à partie par la 15 e U.S.A.F.. Le pont de Monclar est bouleversé, le poste d'aiguillage de Saint Ruf est soufflé, 70 T de bombes sont larguées sur le viaduc métallique sur le Rhône... Le 6, vers 9 H 56, le viaduc du Rhône est encore visé. Il n'est pas atteint malgré 75 T de bombes incendiaires larguées par 180 avions. Le lendemain, 36 B 25 de la 12 e U.S.A.F. reviennent sur les lieux vers 8 h 50. Ils lâchent à nouveau 74 T de bombes sur le viaduc qui bien que touché au milieu et au sud, reste praticable... Un pêcheur ayant mouillé sa ligne prés de l'ouvrage est tué par les déflagrations. Le 8 une nouvelle vague de bombardiers revient sur le viaduc et la gare P.V.. Le largage est d'une telle imprécision que les objectifs sont ratés alors que la cité Louis Gros est en grande partie détruite.

AVIGNON 1944 VIADUC DU RHONE

Le viaduc du Rhône est en pleine tourmente... à en juger par la colonne de fumée qui mon des alentours. Le quartier de courtine, les gares des marchandises ne sont pas à l'abri des bombes... Noter tous les points blancs qui correspondent aux impacts... Nous sommes en août 1944... en direct!

La gare d'Orange est elle aussi l'objet d'incessantes attaques, de même que les gares de Sorgues, Courthézon, Entraigues et la gare des marchandises d'Avignon. Celle ci est terriblement endommagée, notamment le 13. Comme au dépôt des locomotives on n'y trouve plus que rails arrachés, installations détruites, wagons et machines éventrés, poste d'aiguillages soufflé... On raconte que, sous la violence des explosions, des morceaux de métal sont projetés depuis Champfleury jusqu'au quartier le la Balance! Le pont de Champfleury est traversé par une bombe. Les 12, 13, 14, 15 (9 H 30 puis 15 H 45) 16, 17, 18 et 19 août, les installations ferroviaires Avignonnaises et Pontétiennes sont écrasés sous les bombes. On réduit des quartiers déjà à l'état de ruines mais le viaduc, objectif primordial, ne peut être détruit. Il est utilisé en complément à sa vocation ferroviaire, pour la circulation routière en remplacement du pont suspendu... Ce n'est qu'avec l'aide de cheminots résistants qui réussissent à bloquer, sous prétexte d'une panne, un train en provenance de Pont d'Avignon, en son milieu, que les aviateurs alliés parviennent, à coups de canon à le rendre momentanément inutilisable. Ce train copieusement mitraillé, va brûler de longues heures au dessus du fleuve.

AVIGNON COURTINE EN 1944

AVIGNON COURTINE EN 1944

... La gare des marchandises est entièrement bouleversée..

Le 22 c'est le viaduc de la Durance qui est coupé après un raid éclair de 10 minutes. Le lendemain 23, il est 9 H 59 lorsque 18 avions apparaissent arrivant de Nîmes. Ils étaient 31, lorsqu'ils ont quitté la Sardaigne à 7 H 50, mais une partie d'entre eux a du rebrousser chemin. Cette fois, l'escadrille est française. Les éléments des groupes de Bombardement II/20 "Bretagne", I/22 "Maroc", II/52 "Franche Comté" et I/19 "Gascogne", qui opèrent habituellement en Italie viennent mener un action sur leur sol. Ils font un passage de reconnaissance dans ce matin clair, puis tout à coup larguent leurs 68 bombes de 500 Kgs. sur le viaduc du Rhône en Avignon... Ou pour le moins tentent d'atteindre leur cible, malgré les tirs nourris, mais peu précis de la Flak de Cavaillon. Mais l'édifice résiste... Les projectiles viennent s'écraser sur la ligne de la rive droite et sur la gare des marchandises. Après leur raid, les avions s'en retournent vers leur base en survolant L'Isle, Cavaillon, Pertuis et Mirabeau.. (des dossiers de mission sont disponibles au service des archives de l'armée de l'air) Il est 17 H 30 le 24, lorsque l'ouvrage subit sa dernière attaque aérienne... Quelques heures plus tard, à 19 H 12 l'immense treillis métallique s'effondre enfin dans le fleuve... succombant aux explosions de charges à retardement placées par les sapeurs Allemands... qui ont déjà quitté Avignon passée aux mains des F.F.I.. L'occupant avait par ailleurs miné divers postes d'aiguillages qui sont déchiquetés vers les 18 Heures... Il est à noter par ailleurs que les installations militaro-ferroviaires du plan d'Entraigues sont également détruites dans une infernale nuit. Les explosions soufflent les fenêtres de certaines maisons avignonnaises alors que les flammes sont visibles depuis le rocher des Doms... Des témoins, réfugiés sur la colline de Vedène, toute proche, font état de wagons disloqués et projetés dans les airs, au milieu des flammes...

Le mois d'août est encore le mois des actions aériennes de l'U.S.A.F.. Le 13, l'alerte est sonnée à Orange en fin de matinée. Prés d'une quarantaine de B 24 larguent de 6 000 mètres d'altitude prés de 85 T de bombes sur le pont de l'Eygues. Plusieurs projectiles atteignent leur cible. l'ouvrage est endommagé, des lézardes importantes sont visibles. La troisième arche est sectionnée coté rive droite. Il fallait impérativement arrêter plusieurs convois en provenance d'Arles et à destination de la Normandie... Plusieurs blessés et 1 mort sont à déplorer. les actions aériennes sont moins efficaces que les actions de la résistance. Le 15, les Allemands qui ont découvert une cache d'armes dans une fermette prés de Pertuis, préparent une action de représailles. Ils raflent en gare et dans les quartiers environnants, les civils et les cheminots occupés au travail. Tous sont regroupés sous la menace sur la place Mirabeau... Ce n'est qu'aux hurlements de la sirène d'alerte qu'ils doivent leur salut... tout le monde s'étant éparpillé avant que les soldats n'aient eu le temps de mettre à exécution leur sinistre plan.

Les alliés pilonnent également Pertuis, son dépôt et ses viaducs. Le viaduc sur la Durance, saboté le 14 juillet, est touché par l'aviation le 13 août et finalement détruit le 15... Malheureusement, trois résistants, Giraudon, Agnely et Desolmes, perdent la vie durant le bombardement. Ils sont tués par des éclats de bombes, prés du viaduc du ruisseau de l'ébrette, pour les 2 premiers, prés du transformateur du chemin Saint Roch pour le dernier...

Ala mi août les alliés débarquent dans le Var. Les actions s'intensifient. Le 15, le viaduc en amont de Pertuis est touché à plusieurs reprises par les projectiles largués lors d'une attaque aérienne. Il est définitivement hors d'usage en fin après midi. Le 19, une nouvelle attaque aérienne est effectuée vers 6 H 30. Elle vise à frapper les ouvrages ferroviaires et routiers de Cavaillon, mais ne semble pas atteindre son but. Le viaduc entre Cavaillon et Orgon est moins chanceux. Miné par les Allemands par voie terrestre, il succombe sous les coups de boutoir et s'effondre dans la Durance. Son "pendant" sur le Rhône en Avignon qui avait résisté aux attaques alliées est également détruit le même 24 août, par l'occupant en retraite.

Le 20 août 1944, les libérateurs parviennent à Pertuis. Ces événements cauchemardesques prennent fin avec le mois d'août. Les blindés alliés pénètrent en Avignon le 26. Les occupants, pour leur part ont entamé leur retraite depuis le 20. Les cheminots vont pouvoir entamer une ère nouvelle... La reconstruction.

Lorsque premiers coups de pioche sont donnés en Vaucluse fin 1995, début 1996 pour la construction de la ligne T.G.V., quelques vieux souvenirs de 1944 refont surface. Le dragage du Rhône est effectué pour l'installation des deux futurs viaducs entre Gard et Vaucluse. Mais au milieu des roches et alluvions les ouvriers de l'énorme drague flottante vont faire de bien étonnantes découvertes. Cent trois obus de 88 mm, deux cents deux de 20mm et des engins de 105 mm vont obliger l'arrêt des travaux et l'intervention des services de déminage.

LE VIADUC SUR LE RHONE

Un affût de canon, une ancre de 250 kgs, le moteur et une partie de la coque remontés en surface prouveront qu'une barge Allemande, transportant des munitions anti aériennes, a probablement été coulée en ce lieu plus de 50 ans auparavant... Pour éviter de tels désagréments, les architectes en charge du dossier sur la tranchée couverte d'Avignon ont du faire appel aux archives de l'armée américaine. Le secteur du pont de Rognonas et du viaduc de la ligne P.L.M. à fait l'objet de multiples attaques aériennes durant la dernière guerre. Pour étudier les risques potentiel sur le chantier, des recherches ont été menées sur les plans de bombardements, sur la localisation des points d'impacts d'obus puis confrontées aux photos aériennes prises par les appareils de l'U.S.A.F.!

La ville d'Avignon a reçu en 1949, la croix de guerre au titre de ville martyre.

 

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Les documents et photos illustrant cet article sont issus de la collection de l'auteur (photos Bézet, SNCF, AD Vaucluse, X)...

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29/02/2008
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