LES PETITS TRAINS PERDUS

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A LA RECHERCHE DES PETITS TRAINS PERDUS.

 

 

 

 

LES VOYAGEURS POUR LE PASSE... EN VOITURE!

L es petits trains, chacun le sait, sont surtout des jouets à l'attention des grandes personnes.
Un de mes amis attend même impatiemment que son jeune fils ait atteint l'âge de raison pour lui acheter un train histoire, bien évidemment, de l'empêcher de jouer avec.
Etait il frappé du même complexe, l'ingénieur (il s'appelait, je crois, M Séjourné, et venait du nord) qui dressa voici maintenant plus de cinquante années, les plans du petit train d'Orange au Buis les baronnies.

"On pourrait le croire" à répondu, lorsque je lui ai posé la question, M Georges Thèvenot, qui fût le dernier directeur de ce minuscule réseau. Et, dans la salle à manger de la petite villa de la banlieue d'Orange où il a pris sa retraite, à cent mètres à vol d'oiseau du remue ménage des trains et des camions de la gare, déployant une carte sur la table, me désigne du doigt quelques points caractéristiques. Voyez, dit il, 139 passages à niveau dont 28 gardés, quarante et un ponts à tablier métallique, douze gares, neuf halles à marchandises, un atelier de mécanique, deux remises à voitures, trois châteaux d'eau... Ajoutez à cela 23 habitations et 25 bâtiments divers.

Les moindres détails étaient l'objet d'un soin extraordinaire. Ainsi les petits caniveaux passant sous les voies étaient marqués par des garde-fous métalliques, comme des ponts véritables. Bref, une miniature, un jouet, la maquette de luxe d'un grand réseau. Et, là dessus, roulaient depuis le 1 mai 1907, quatre trains par jour. Trois faisaient l'aller et retour Orange-le Buis, le dernier faisait l'aller et retour également, Orange-Vaison. Cela représentait, en tout, bon an mal an, cent mille voyageurs.

En voitures s'il vous plaît!

L'ancien cheminot se tait, puis, après m'avoir considéré un moment non sans mélancolie, me dit: "Mais tout ça se sont des mots. Il aurait fallu que vous le voyez pour vous rendre compte. Vous arrivez avec tout juste six ans de retard".

C'est, en effet, le 12 décembre 1952 que le dernier tortillard Orange-le Buis les Baronnies a fait son dernier voyage. Déjà, et depuis plusieurs années, il ne roulait plus sur la ligne qu'un train par jour et certaines gares, comme celle de Pierrelongue, étaient de longue date désaffectées.
Six ans de retard, une paille! Il suffit, pour les rattraper de faire, dans ses bagages, provision de rêve. Ce matin, le temps est propice pour une telle entreprise. Le brouillard a envahi Orange estompant le grand mur, effaçant l'arc de triomphe. Neuf heures vont bientôt sonner au clocher trapu de la cathédrale auxquels neuf coups répondront depuis le campanile de la mairie.

Les bras distendus par deux valises imaginaires, je me suis rendu à la gare. J'ai pris le chemin de la sucrerie et mes espoirs n'ont pas été déçus. La petite gare, la gare fantôme, démolie depuis six ans, est exacte au rendez vous. On lit sur la plaque bleue du pignon "ORANGE C.F.E.". Je reconnais la halle des marchandises, le château d'eau où une minuscule locomotive à trois essieux (une 130 suivant la terminologie ferroviaire), avec une drôle de cheminée, comme une théière, est en train de faire le plein. Pas de tender, mais derrière, directement accroché, un fourgon, trois voitures à voyageurs avec des plates-formes, comme dans les trains du far west, et une demi douzaine de wagons de marchandises couverts.

Jouant les vedettes, je fais connaissance avant le voyage, avec les deux hommes qui sont à bord de la machine. L'un s'appelle Rondey, c'est le mécanicien. L'autre, le chauffeur, se nomme Vidal. Le chef de train, que je salue ensuite, est M Finet, qui ne songe pas encore à installer, cours Portoules, son commerce de chaussures. Un autre jour j'aurai pu voir une autre équipe: M Rémusat, M Gitti, M Guichard et, si l'heure ne pressait pas, je pourrai faire connaissance au bureau avec M St Roman, à l'atelier avec le chef de dépôt Arpin ainsi qu'avec les menuisiers Ferrier et Sauvayre, l'ajusteur Thierry, le tourneur Roche et Gonnet le manoeuvre. Si l'horloge du passé ne tournait pas si vite, je pourrai voir également le chef de district Ferrand, le cantonnier Fabre... Mais l'heure s'avance. M Rondey actionne le sifflet de la locomotive. Boudou le serre-freins vient de sauter dans le dernier wagon. Le chef de gare s'active sur le quai. "Les voyageurs pour le passé, en voitures!. Je saute dans mon compartiment de première avec banquettes garnies de velours. Je note la présence dans le couloir d'un poêle en fonte et au dessus des portes à glissières, dans de petites niches, de lampes à pétrole. Nouveau coup de sifflet, grincement de ferraille... Le train part. Il est parti...

II LE VOYAGE A REBROUSSE TEMPS...

Première station, la gare de Camaret Juste avant d'y entrer, avant que le train ne coupe la route, j'ai fait bonjour au passage à Madame Martin, la garde-barrières. Son mari, le cantonnier, est quelque part sur la voie avec Reynaud, le principal. Je vois Madame Boudou, la gérante, à son guichet et, sur le quai, poussant un diable, M Lagier. A Violès, si j'avais le temps, je descendrai bien dire bonjour à mon ami le secrétaire de mairie, mais voilà déjà que M Robert donne le signal du départ.

Le petit train soufflant, sifflant, longe la route, oblique sur la gauche et, dans un fracas d'enfer, traverse le pont métallique qui enjambe l'Ouvèze. Les maison là bas, très loin à flanc de côteau, c'est Gigondas. Nouvel arrêt au pied de Sablet. M Jean, le chef de gare discute avec un pépiniériste. C'est M Grangeon, qui n'a pas encore sa fourgonnette bleu ciel. A quelque mètres, tout en surveillant le passage à niveau, madame Peycelon, la nouvelle garde-barrières, étend les langes de son premier né. En route... En route... L'horloge du passé n'attend pas. Entre Sablet et Séguret le train s'essouffle. Ca grimpe et j'ai tout le temps d'admirer le paysage. Les montagnes en pain de sucre, semblables à celles que l'on voit en Sicile au dessus d'Agrigente. Enfin nous sommes à Séguret. Bonjour Madame Auzias, nous nous retrouverons dans quelques années à Bourbon Lancy et plus tard, bien plus tard, près d'ici, à Sablet.

Le train redescend un peu. Nous sommes à Roaix. Des chargements de planches attendent le train du soir. Sur le Quai, Madame St Donat, qui finira sa carrière dans la Nièvre.
Le train fantôme reprend sa route. Voici le premier "gros morceau". La voie longe une gorge étroite taillée à flanc de rocher. Les roues patinent et nous roulons si lentement que je pourrai bien, histoire de me dégourdir un peu les jambes, descendre de mon wagon et, sans me presser, marcher le long du ballast. Et puis voici la gare de Vaison. "Vaison la Romaine, une demi heure d'arrêt", crie M Brunet, le chef de station. Il ne sait pas encore que nous nous reverrons dans une heure... dans 10 ans et qu'il aura troqué sa casquette des C.F.E. contre celle des cars LIEUTAUD. Il ignore encore que dans quelques temps, du côté de 1944, il va risquer sa peau et de justesse, par la faute d'un "Herr Major" qui s'est trompé de train. Mais à Vaison il tombe aujourd'hui une petite neige fine. Je vais profiter de la demi heure qui m'est accordée pour aller faire un tour jusqu'au chantier des fouilles. Parmi les vieilles ruines j'ai vu, quelle chance, le chanoine Sautel en conversation avec M Burrhur. Il est presque midi, mais je ne déjeunerai pas à Vaison la Romaine. Ce n'est que revenu dans le temps présent, qu'un jour de foire de la St André, j'ai dégusté chez l'excellent chef Voulan, un sensationnel civet de lièvre. Aujourd'hui c'est une course contre la montre. Que se passerait il si je manquais le petit train du passé? Vite. Au coup de sifflet, en route pour Crestet.

Paysages extraordinaires...

Je profiterai de ce que le train peine dans la rampe, pour regarder derrière moi l'extraordinaire paysage. Nous sommes au niveau de St Marcellin. Le pont de fer enjambe l'Ouvéze qui coule, sombre, à mes pieds, dans les sables blancs. Je vois, obstruant la vallée, l'énorme roc sur lequel se dresse l'ancienne forteresse des Montmorency avec le beffroi et les maisons serrées du vieux Vaison médiéval. Bonjour Madame Roche, vous êtes à votre barrière lorsqu'avant d'entrer en gare de Crestet, le train traverse la route de Malaucène et, à peine sommes nous arrivés que Madame Lurmin, chef de station, donne le signal du départ. Le paysage devient de plus en plus sauvage à mesure que nous approchons d'Entrechaux. Des rochers, des forêts de cèdres. On s'attend à tout moment à voir surgir des indiens emplumés sur leurs petits chevaux et poussant leur cri de guerre. Nous entrons en Drôme. Sur la voie M Roche et M Lafont sont en train de réempierrer le ballast. Le chauffeur, en passant, leur dit Bonjour.

La gare de Pierrelongue est fermée. La chose est faite depuis 1933. Nous n'avons donc vu personne depuis Mollans où Madame Barre à donné le signal du départ, jusqu'à l'entrée du tunnel de la Penne. Là, dans sa petite maison, habite Madame Guillaume. Car nous avons un tunnel, un vrai, enfin presque. Pour bien nous en faire apprécier l'existence, le convoi ralentit et le petite locomotive souligne l'événement d'un point d'orgue de fumée.

III RETOUR CHEZ LES VIVANTS...

Irons nous jusqu'au bout de notre voyage? Après tout, pourquoi pas? Voici Cost où le service est assuré par le ménage Monge. Lui, cantonnier de la voie, elle, chef de halte, et enfin Buis les Baronnies, "terminus tout le monde descend" , où M Jupille est chef de gare. A Buis, il y a des bâtiments importants. Un terminus, même lorsque les points extrêmes de la ligne sont distants de quarante kilomètres à vol d'oiseau, cela se remarque. Nous voyons, avec pour fond de décor le rocher, semblable à un casque monstrueux surmonté d'une chenille de verdure, une remise pour deux locomotives, une remise pour les voitures, une halle pour les marchandises et, évidemment, la gare des voyageurs. Et voici terminé mon voyage dans le passé.

1958, tout le monde descend.

Me voici à nouveau, mais peut être n'en suis je jamais parti, chez M Thèvenot. Il va me raconter comment est mort le petit train.
"J'étais, me dit M Thèvenot, entré aux C.F.E., les Chemins de Fer Economiques, depuis 1908, lorsqu'en 1935 on me proposa de quitter Paris pour prendre, à Orange, la direction de la ligne du Buis. Je ne me faisais, notez bien, pas beaucoup d'illusions. Cette ligne affermée depuis sa création par le P.L.M., d'abord puis la S.N.C.F. ensuite, n'avait jamais été spécialement rentable. Avec l'accroissement de la circulation automobile, son déficit ne pouvait que grossir.
Je fais remarquer qu'il devait y avoir un certain trafic de marchandises.

Evidemment, répond M Thèvenot, nous expédions des marchandises agricoles et puis aussi des fruits, des truffes, des plans de vigne, de la viande de chèvre et de lapin. Il nous arrivait pour Vaison et Malaucène, des chiffons. En 1938, le trafic représentait encore 80 000 T. Mais le transbordement en gare d'Orange, qui n'excluait pas un second transbordement à la gare de destination, grevait l'exploitation. Il est probable que si notre ligne avait été à voie normale, au lieu d'être à voie de 1 mètre, elle aurait subsisté. Quoi qu'il en soit, en 1951, lorsque fût décidé l'abandon de la ligne, le trafic marchandise durement concurrencé par la route, était tombé à 10 000 T par an.
- Et les voyageurs?

Les voyageurs? Hé bien en 1938, les guichets délivraient 120 000 billets par an. Il ne s'en distribuait plus que 10 000 à la veille de la fermeture. Entre temps, évidemment, le personnel avait été considérablement réduit. Tombé à 100 en 1938 (cette année là on avait fermé le trafic de voyageurs), il descendait à 62 l'année suivante et, en 1952, nous n'étions plus que 54.

La guerre du petit train.

Et pourtant, continue M Thèvenot, cette ligne j'y étais attaché. Dès mon arrivée à Orange je la savais condamnée. Logique. Pourtant les habitués de la région, pour la conserver déclenchèrent une véritable petite guerre. Vous ne sauriez croire à quel point ils m'étaient sympathiques. Ils avaient constitué un comité de défense que présidait un vaisonnais, M Pierrot, des Etablissements Ulysse Fabre. Le comité comprenait aussi M Reymond qui est mort depuis et qui était maire de Mollans et Conseiller Général de la Drôme. Il y avait aussi Jules Marin, un garagiste.
- Un garagiste? La route n'était elle pas l'ennemie du rail?
- Dans ce cas les intérêts étaient concordants. Voyez vous, l'économie du Buis les Baronnies était tout entière attachée à sa ligne de chemin de fer. Buis les Baronnies était une petite station estivale spécialement fréquentée par les personnes âgées. Pour elles, le voyage en train était plus confortable et puis, M Marin nous gardait de la reconnaissance...
-De la reconnaissance?
- Eh bien, en 1943, il dut la vie sauve au tortillard. Il se trouvait à Orange où les Allemands le recherchaient. Nous le remontâmes à bord d'un fourgon à bord duquel il put regagner Buis". Car, j'ouvre ici une parenthèse, pendant les années de l'occupation, le petit train traversant le pays des maquis connut des heures d'épopée. Les hommes du train donnaient au passage un coup de mains aux maquisards qui démolissaient le téléphone très utilisé par l'occupant et il fallait ensuite toute la diplomatie de M Thèvenot pour leur sauver la vie. Une fois, pourtant, au milieu des terrains militaires, entre Orange et Caritat, le train fût mitraillé par l'aviation. Un cheminot fût blessé et un wagon de première transpercé par les balles. D'autres fois... Mais de tout ceci, M Brunet, de Vaison, vous en parlera dans quelques jours...

IV LA COMPLAINTE DE LA PAUV' GARDE-BARRIERES

Voilà la situation à peu près réglée, sur le plan matériel s'entend. Sur la plan humain, il reste des questions à régler et d'abord la question du personnel. "Que sont mes amis devenus?" a chanté le pauvre Ruteboeuf. "Que sont les anciens du petit train devenus?" dirons nous aujourd'hui.
Nous savons déjà que M Thèvenot a pris sa retraite à Orange. Plusieurs de ses anciens subordonnés également et sont restés dans la cité qui vit la gloire de Mounet Sully. Ainsi, à la mairie d'Orange, nous retrouvons comme employé M St. Roman qui était chef de bureau de la petite ligne, M Perrier, l'ancien menuisier des C.F.E., M Thierry qui était ajusteur. D'autres sont entrés à la S.N.C.F.. Tels est le cas de M Boudou qui était serre-freins et est homme d'équipe en gare d'Orange, de M Vidal qui était chauffeur et qui est maintenant affecté au dépôt S.N.C.F. d'Avignon, de M Fabre, cantonnier des chemins de fer à Orange, de M Lagière, auxiliaire à la gare d'Orange, de M Juan qui était chef de gare à Sablet est devenu facteur S.N.C.F. à Orange. D'autres ont été mutés sur d'autres lignes des C.F.E.. Ce fut le cas de M Auzias qui a terminé sa carrière à Bourbon Lancy et qui a pris sa retraite à Sablet. Mme St. Donnat a été mutée dans la Nièvre. Certains ont trouvé de nouvelles situations. Tel fut le cas de M Brunet qui à la retraite est passé d'abord aux papeteries Carrier d'Entrechaux, puis aux cars LIEUTAUD de Vaison. Tel MMme Guillaume qui continueront à habiter à La Penne, leur petite maison, gardiens qu'ils sont devenus du tunnel transformé en caves par un négociant de Châteauneuf du Pape. Mme Brun qui était factrice en gare de Vaison est devenue la propriétaire du syndicat d'initiatives de la ville romaine. M Achard est buraliste à Roaix. D'autres sont à la retraite: Ainsi M Thèvenot (Camaret), Bonilla (Violès), Favier (Orange), Morénas (Orange), Berruhet (Sablet), Maurin (Camaret), Girard (Vaison), Bégou (Roaix), Monnier (Entrechaux), Dethée (Le Buis), Digon (Vaison), Chevalier (Orange), Bourges (Vaison), Rivet (Camaret), Sinard (Orange), Barbot (Camaret), Raspail (Sablet), Ferrand (Beaupréau), d'autres encore... M Baud, le père de Georges Baud, qui est garde municipal à Sablet, s'est retiré au Buis.

Le drame du relogement.

Mais il reste les cas dramatiques de ceux qui habitent les maisons de garde-barrières. Certaines (c'est le cas à Sablet de MMme Mouret) sont locataires dans des conditions normales et pensent d'ailleurs pouvoir acheter leur petite maison qu'ils ont déjà aménagée et rendue confortable. Mais les anciens employés de la ligne? Les anciens gardes-barrières? Prenons, toujours à Sablet, le cas de Mme Peycelon. C'est la femme du facteur P.T.T. du village. "J'étais garde-barrières, me dit elle, depuis la guerre. Nos enfants sont nés dans cette petite maison. Lorsque la S.N.C.F. a repris la ligne désaffectée et décidé de la rendre à l'administration des domaines, nous avons été informés que nous étions occupants sans titre et que nous aurions à nous en aller à la première réquisition. Evidemment, si nous pouvons acheter notre maison lorsque la vente aux enchères aura lieu, ce serait le rêve. Mais un facteur de la poste, enfin, un préposé, comme on dit maintenant, ça n'est pas riche et quant à trouver un logement, ce sera dur". Et, bien que plusieurs des petites maisons soient déjà vides de leurs occupants, le cas de Mme Peycelon n'est pas unique, loin de là.
Restons à Sablet.
Mais restons à Sablet, chez M Jules Mouret, négociant en vins. Nous y avons retrouvé l'ancien chef de gare de Séguret, M Auzias. Il est doublement orfèvre en la matière puisque, ancien des C.F.E., il a pour ces derniers, travaillé dans une autre région (celle dont je suis originaire, aux frontières de la Bourgogne, du Bourbonnais et du Nivernais) et qu'en outre à l'heure actuelle il est devenu usager des transports de la S.N.C.F., tout au moins représentant d'usagers. "Ce que je pense de la nouvelle méthode? a t'il répondu à notre question. Eh bien, c'est difficile à dire en toute impartialité. J'estime que le remplacement des services messageries par un service routier, celui des trains de marchandises par des camions, n'est pas, pour les localités précédemment desservies par le petit train est un recul. Ca va moins bien. C'est tout. Mais il y quand même un avantage...

V Quand le chemin de fer devient chemin tout court.

Nous voici maintenant revenus sur l'itinéraire du petit train, mais cette fois, en voiture. Laissons Orange où nous reviendrons lorsque nous voudrons connaître comment le petit train a été remplacé. Il nous faut maintenant rechercher la destinée du petit train, de sa petite voie, de ses petites gares.

Pour cela, nous devrons, tout d'abord, nous pencher sur l'obscurité plus profonde que celle du tunnel de Pierrelongue, des textes législatifs. Et j'ai bien compris (mais je ne suis pas tellement sûr d'avoir bien compris) les terrains et les installations exploitées par les C.F.E. leur étaient affermés par la S.N.C.F., laquelle en avait la jouissance, la nue propriété demeurant à l'Etat. Les voies cessant d'être exploitées, les chemins de fer les rendirent à l'administration des domaines. Ceci se passait en 1957. Il fallut plus d'un an pour établir un inventaire complet, tant des terrains que des bâtiments et maintenant, les domaines s'apprêtent à vendre aux enchères les voies, les gares, les maisons de garde-barrières, bref, tous les immeubles du petit train. En ce qui concerne les biens meubles, c'est à dire les deux locomotives Decauville et les cinq Corpte-Louvet, les sept voitures de voyageurs, les six fourgons, les vingt huit wagons plats, les vingt tombereaux, les vingt quatre houillers et les cinquante deux couverts, sans oublier le wagon de secours et la grue roulante, la S.N.C.F. les a déjà vendus ou, en ce qui concerne les machines, démolis. Les immeubles bâtis et non bâtis vont donc, eux , finir aux enchères. Et pour garder à ce final la saveur vieillotte qui a présidé à la vie du petit trains, c'est selon la vieille coutume des enchères à la bougie qu'ils seront dispersés. Car, dit l'article premier des dispositions générales de vente de l'administration des domaines "L'adjudication aura lieu aux enchères et à l'extinction des feux. Elle ne sera prononcée qu'avant que se seront éteints successivement deux feux sur une même enchère".

Un pont entre Violès et Gigondas.

La ligne tout entière ne subira d'ailleurs pas ce sort. Un projet préfectoral dont le Conseil Général a même eu à s'occuper l'été dernier, envisageant de transformer en une série de chemins ruraux toute la section qui s'étende de Violès à Vaison. En réalité, une partie seulement du ballast va recevoir cette destination nouvelle. C'est à la mairie de Violès que le secrétaire, M Félix St Roman, va, avec beaucoup de clarté, nous exposer le problème. Nous sommes dans la grande salle du Rez de Chaussée. Au mur la composition du Conseil Municipal. En tête, le nom du maire, M Fernand Boyer, voisine avec la photo des enfants du pays morts pour la France. Deux tables, un meuble volumineux qui renferme les plans cadastraux. C'est vers ce meuble que se dirige M St Roman. "Voyez vous cette carte? me dit il. Voici la trace de l'ancienne ligne. Vous comprendrez immédiatement ce qui nous intéresse. Ici, comme à Sablet, nous trouvons ce chemin qui doublera la nationale. Une desserte commode en vue d'une extension future. D'autre part, nous pourrons aussi conserver le pont qui nous relie directement aux propriétés de la partie basse de Gigondas. C'est très important. Songez qu'une ferme comme le domaine St André est, à vol d'oiseau, à moins de mille cinq cents mètres de chez nous..." Je m'inquiète du prix de l'opération. "Tenez, me dit mon interlocuteur, voici le rapport des Ponts & Chaussées. Le prix d'achat des terrains serait symbolique: Mille francs pour la traversée de la commune. En ce qui concerne l'aménagement, nous prévoyons une chaussée de six mètres damée et empierrée. Ce travail reviendrait à cent mille Francs le kilomètre soit, pour Violès, approximativement, deux cent cinquante mille Francs, Gigondas aurait deux cent dix mille Francs de frais et Sablet pour deux cent trente mille Francs. A cela s'ajoute l'aménagement des ouvrages d'art et, en particulier, la transformation des ponts qui seront dallés et cimentés. Celui qui se trouve sur notre commune demandera trois cent mille Francs. Pour Gigondas, selon l'estimation des Ponts & Chaussées, les travaux de cet ordre s'élèveraient à trois cent seize mille Francs et pour Sablet cent quatre vingt sept mille Francs. Donc, pour Violès, Sablet et Gigondas, la mort du petit train est réglée: à la place des trains, ce sont des voitures automobiles ou à chevaux qui rouleront bientôt. Cela permettra aussi quelques rectifications de tracé. Ainsi, dans l'entrée de Sablet, un méchant virage, moyennant quelques travaux de terrassement, pourra être rectifié.

VI PARTAGE DE SALOMON A VAISON LA ROMAINE.

Ailleurs, la destinée du petit train sera différente. Ainsi, sur le plan de Dieu, entre Orange et Camaret, le ballast va symboliquement prendre l'uniforme bleu de l'armée aérienne. Un tronçon va, en effet, être cédé au ministère de l'air pour desservir les terrains d'aviation.

A Vaison la Romaine, il en va tout autrement. M Henri Fabre, m'a conduit à l'ancienne gare, naguère encore dépôt d'un conserveur de Carpentras et m'a, in situ, exposé les projets de la municipalité du Dr Desplans. "Voyez vous, m'a t'il dit, à Vaison, la ville n'a demandé la cession que d'une parti des terrains du chemin de fer. Notre liaison routière était suffisante et nous n'avons nullement besoin d'un chemin supplémentaire en direction de Roaix. par contre, nous avions besoin des terrains pour l'extension du marché et de constructions pour les services de la voirie municipale. La ville a donc fait l'acquisition symbolique de la moitié nord de la gare et du secteur de la voie qui va de cette gare à la route de Nyons,, soit un peu plus de trois cents mètres. Nous allons en faire un tronçon de route qui agrandira d'autant le marché. Le reste de la gare, bâtiments et terrains, va aller aux Pont & Chaussées qui ont besoin de locaux et d'entrepôts.

Et avant de partir, M Fabre, me fait remarquer le piquetage du futur parc des sports. Il y aura, à proximité de l'ancienne ville romaine, des tennis, des terrains de Basket et une ... piscine. De quoi faire largement, auprès des touristes, la perte qu'avait pu créer la disparition du petit chemin de fer. Voilà donc réglé le problème des terrains. Ce qui n'ira pas aux communes, aux départements, ni à l'Etat, sera, nous l'avons dit, vendu aux enchères.

Des bâtissent à défier le temps.

Les bâtiments, eux, une fois passés au feu des adjudications, deviendront soit des habitations, soit des locaux commerciaux ou industriels. Pour certains la lutte semble devoir être serrée. C'est qu'il s'agit de construction d'une solidité à toute épreuve. Viticulteur et pépiniériste, M Grangeon entrepose à la gare de Sablet des plans de vigne. Il veut faire du premier étage un logement, mais, en attendant, garde le rez de chaussée tel quel. Curieux spectacle que ces fagots de vigne vivante. Curieuse odeur aussi, que cette odeur de terre fraîchement retournée, dans un bâtiment d'allure administrative. "C'est vraiment de la belle construction, me dit M Grangeon. regardez l'épaisseur de ces murs. On dirait que ceux qui ont construit voulaient faire aussi solide que le palais des Papes d'Avignon."

Curieux poêle alsacien.

Même remarque à Violès où M Lucien Bourit m'accueille au seuil de l'ancienne gare. M Bourit, un jeune homme au visage ouvert, est Lyonnais. Il représente ici, la maison Bourit Fils, expéditeurs en primeurs. Il habite l'étage de la gare avec sa jeune épouse et son petit garçon. Le rez de chaussée est aménagé pour son commerce. "C'est inimaginable, s'écrie t'il, le quai de la gare repose sur des assises de plus de deux mètres d'épaisseur! Quant au bâtiment il est entièrement en pierres de taille. Remarques, d'ailleurs, que ces constructions sont très différentes de ce que l'on fait habituellement dans la région. C'est, paraît il, parce que les constructeurs de la ligne venaient du nord". Je note, effectivement, la pente inusitée du toit et les bordures en zinc. "Mais, venez voir l'appartement, continue M Bourit. Je vous montrerai un curieux détail d'ameublement" Dans ce logement élégant, brillant, impeccable, tenu avec amour par la charmante Madame Bourit, il y a effectivement un détail que ne trompe pas mon regard de natif de ces régions nordiques qui s'étendent au nord de Valence: un poêle alsacien. C'est une construction rectangulaire en briques réfractaires recouverte de briques vernissées brunes. On fabriquait des poêles avant 1870 à Sarreguemines, puis les céramistes émigrés en firent d'identiques avant la guerre à Digoin et Vitry le François. "Le seul problème c'est la consommation", me dit mon hôte qui, pour des motifs d'économie, préfère le poêle à mazout.

VII PELERINAGE AUX SOURCE DE... CARBURANT!

Pour mieux connaître la question, la meilleure solution était d'aller à la source. Mais au lieu de prendre la route de la sucrerie pour me rendre à la petite gare disparue, j'ai suivi les flèches à caractère bleu et fond crème qui indiquent la gare d'Orange. Là, dans un bâtiment annexe de la gare des voyageurs, j'ai fait la connaissance de M St-Aignan. Mais, auparavant, j'avais fait un crochet jusqu'au quai d'embarquement. Un quai d'embarquement en apparence semblable à celui de toutes les gares de France. Des voies, sur ces voies des wagons et près de ceux ci, des camions. Des camions de toutes sortes; plateaux, citernes, tracteurs semi-remorques, avec leur fourgon et leur plateau ridelles, petits camions de messageries tôlés ou bâchés de vert. Et des wagons aux camions l'incessant va et vient des chargements et déchargements: Cartons de Valréas, plants de vigne de Sablet, citernes regorgeant de vin de toutes les côtes du Rhône, sacs d'engrais, charbons, farines, pommes de terre, , billes de bois, etc... Une seule différence avec une autre gare comme les autres, sur ces camions une plaque crème avec des lettres rouges :S.N.C.F. Gare centre d'Orange, desserte routière, trafic wagons. ou encore sur les véhicules les plus petits Trafic détail. C'est ça la grosse différence. Malgré les apparences ces camions, essence ou diesel, malgré leurs moteurs, malgré leurs pneus, sont des wagons S.N.C.F..

Chef d'une armée de camions.

M José St-Aignan, le général de cette petite armée de camions... "Non, m'a t'il dit en me voyant prendre des notes, n'écrivez pas cela, les copains vont m'envoyer une casquette avec des tas d'étoiles dessus..." Mais j'insiste, général de cette petite armée de camions. M St-Aignan a le titre de chef de centre des transports automobiles à la S.N.C.F.. . Les usagers l'appellent tout simplement M le régulateur. Ils ont raison, car ce nom qui fait penser à l'horlogerie suisse, est sa fonction exacte. Dans son petit bureau de la gare, M le régulateur confirme mes impressions. "Oui, me dit il, mes camions, en fin de compte, sont des wagons. Les chemins de fer sont un service public. En supprimant les voies ferroviaires, on ne pouvait pas priver les usagers des avantages que celles ci représentaient pour eux. Si, pour un motif d'économies on a "tué" le petit train, on devait donc, pour un motif de justice, le remplacer. D'où mes camions dont certains assurent le service des messageries et d'autres le service charges complètes." Je demande: quelle différence faites vous entre les deux? "Eh bien, la même que dans le service ferroviaire normal. Les messageries sont des envois par colis, allant de 500 Grammes à mille kilos. Les charges complètes sont des envois par wagons complets. " Qui assure les messageries? "Plusieurs entreprises de transports publics qui, par ailleurs, sont les correspondants de la S.N.C.F. dans les contrées desservies, à savoir: Vaison, Nyons et Valréas. Ces correspondants ont chacun un circuit. La maison Lieutaud, de Vaison, dessert toute l'ancienne ligne d'Orange à Buis les Baronnies avec, en outre, un crochet vers Gigondas et Vacqueyras. Une autre ligne, celle d'Orange à Valréas, qui constitue une amélioration sur l'ancien système de desserte, est tenue par la maison Vve Carrier, de Valréas. Cette ligne dessert Rochegude, Suze la Rousse, Bouchet, Beaumes de transit, Montségur sur l'Auzon, Chamaret, Grignan, Tauligan et enfin Valréas. La troisième ligne, assurée par la société Poujoulat, de Nyons, dessert Sérignan, St Cécile les vignes, Tulette, Visan, Grillon, Valréas et Nyons."
Mon interlocuteur conclut en ajoutant qu'à Valréas, il subsiste une véritable gare, moins les trains, bien entendu. Donc, en ce qui concerne les messageries, la nouvelle formule est non seulement égale à l'ancienne, mais supérieure puisqu'elle dessert, outre les localités précédemment desservies par le fer, toute une gamme d'agglomérations qui, auparavant, étaient pratiquement isolées ou desservies par des services de réexpédition moins commodes.

VIII UNE HORLOGERIE MONTEE SUR PNEUMATIQUES.

Continuons notre conversation avec M St Aignan. Il va maintenant nous entretenir des transports de "charge complète". Ceux ci sont faits à la demande. Ils nécessitent donc un minutage quotidien et une structure beaucoup plus compliquée que les transports de messageries puisqu'il faut assurer, en principe, l'équilibre entre le fret aller et le fret retour.

Ce transport est assuré, sans secteur déterminé, à l'intérieur d'une zone intéressée, bien sûr, par quatre entreprises liées par contrat avec la S.N.C.F., qui, contre la garantie d'avoir toujours des véhicules à disposition, leur assure un minimum d'affrètement par trimestre. Ces entreprises sont: la maison Nicolas de Nyons, qui dispose d'un plateau benne de 10 T, la maison Teste, également de Nyons, avec deux tracteurs et trois semi-remorques (deux fourgons et une benne) de 10 T, la maison Chanéac de Valréas, spécialisée dans les travaux lourds avec ses cinq semi remorques de 12 T (ce sont les fameux "Kronenbourg" rouges et blancs, que vous connaissez bien). Enfin, le citernier spécialiste des vins et des autres liquides, M Rey de Valréas. Bien entendu, les "cinq tonnes" des messageries peuvent, le cas échéant, être appelés en renfort. Nous laissons la parole à M St-Aignan.

Comment ça marche?

"Les wagons, nous dit il, arrivent en gare d'Orange, avec, en principe, un préavis. Je sais donc de quels camions j'aurai besoin le lendemain et j'établis mon "programme provisoire" en conséquence. Bien entendu, au dernier moment, il y a des modifications, ne saurait ce que parce qu'il faut aussi tenir compte des expéditions. Tous les camions sont polyvalents. Donc un camion basé à Nyons peut très bien travailler sur le trajet Vaison Orange, ou un camion de Valréas sur celui de Nyons à Orange. Il arrive aussi que, pour ne pas perdre un voyage retour, un camion parte avec une charge complète, puis revienne, s'il y a lieu, avec un voyage de messageries. La formule est donc extrêmement souple. C'est son gros avantage et son côté économique."
Mais, ai je demandé, où se trouve le bénéfice pour la clientèle? " Principalement dans la commodité de la desserte: Nous livrons directement à domicile, si bien qu'il n'y a plus qu'une manipulation au lieu de deux, en ce qui concerne les lignes de Valréas et une au lieu de trois, pour celle d'Orange à Buis. Nous faisons même des dégroupages, c'est à dire des livraisons fractionnées, en ce qui concerne les wagons complets commandés par un groupe de clients."
Des chiffres.
Ma curiosité n'a pas de borne. Comme un simple député, je demande: des chiffres?
"Vous voulez des chiffres, me répond M St-Aignan, en voici. Ce sont ceux de 1957 puisque l'exercice en cours n'est pas achevé. Pour les messageries, il nous est arrivé 38 836 petits colis, soit 582 Tonnes 390 Kilos. Ajouter à cela 3 045 Tonnes de "détail" , c'est à dire, de colis entre cinquante et mille kilos et, enfin, 1 053 cadres, soit 631 Tonnes 800 kilos. Les expéditions, dans la même catégorie ont été de 463 Tonnes 820 (autrement dit 30 096 envois) en petits colis de 2 147 Tonnes 830 en colis détail et de 624 Tonnes 600 représentant 1 041 cadres. Au total, les messageries représentent donc 4 260 Tonnes 180 kilos en arrivages et 3 236 Tonnes 10 kilo en expéditions ou encore 7 496 Tonnes 190 kilos de trafic total.
Voyons maintenant les wagons complets. Ici, les arrivages sont de 17 121 Tonnes 890 kilos représentant 1 472 wagons et les expéditions de 37 612 Tonnes 670 kilos représentant 2 319 wagons, ou encore, en tout, 54 734 Tonnes 560 Kilos, dans 3 791 wagons. Ce qui donne un chiffre global pour la gare routière d'Orange de 62 230 Tonnes 750 kilos. Ce tonnage imposant a roulé sur 158 154 kilomètres pour les messageries et sur 288 999 kilomètres pour les wagons complets. Maintenant, si vous voulez pour conclure un chiffre qui frappe l'imagination, nous avons, le mois dernier avec nos "wagons, accompli 40 000 kilomètres, soit le tour de la terre..."
J'aurais encore écouté longtemps M St Aignan, mais M Chanéac de Valréas est arrivé. J'ai pensé qu'en cette fin de mois (nous étions le 29 novembre), ils avaient des tas de choses à se dire et j'ai pris congé...

IX DE LA VOIE DE 1 METRE A LA VOIE NORMALE.

Laissons M José Saint-Aignan à ses soucis, dont le moindre n'est pas l'établissement d'un énorme planning quotidien, d'un double planning même, puisqu'il a également la responsabilité d'une zone routière dans le département du Gard, du côté de l'Ardoise, une région où d'autres petits trains qui n'entrent pas dans notre propos, ont eux aussi disparu.

Tout en demeurant sur la même rive du Rhône, nous allons piquer vers le Nord, abandonnant momentanément le petit train d'Orange à Buis les baronnies. Nous abandonnerons bien d'autres choses encore, et surtout, les C.F.E. et les voies d'un mètre. C'est en effet dans l'enclave valréassienne que nous nous rendons maintenant pour y suivre les traces, de jour en jour plus effacées, de la voie ferrée de Pierrelatte à Nyons. Ce train partait de Pierrelatte, passait par Saint paul trois châteaux, Montségur, Chamaret, Colonzelle et Grillon pour aboutir à Nyons. C'était une ligne à voie normale de la S.N.C.F..

Une toute petite ligne.

Une toute petite ligne, en vérité, mais qui avait bien son utilité, ne serait ce que parce qu'elle rattachait à la vallée du Rhône, cette fameuse enclave survivance étrange et charmante à un siècle et demi de distance, de la configuration biscornue des anciens états du Pape. Nous croyons en effet, comme le croit notre Conseiller Général M Jules Niel, que ce canton isolé pourrait (ou plutôt aurait pu) parallèlement à sa vocation agricole, (c'est le pays du vin et des truffes) développer une grande activité industrielle.
On y produit déjà des cartonnages, des meubles de bureau et des conserves. La proximité du barrage de Donzère -Mondragon, générateur de quantités importantes d'énergie électrique aurait pu amener l'inplantation de l'industrie des chaux et ciments, peut être même celle de l'électro métallurgie ou de l'électro chimie, branches d'activité qui ont apporté la prospérité à maintes vallées dauphinoises et savoyardes.

La fin du petit train.

Les circonstances, malheureusement, se sont liguées. D'abord la ligne n'était pas momentanément rentable. Il faut bien reconnaître que, dans les années qui ont suivi la guerre, l'industrie des cartonnages n'avait aucun avantage à utiliser les transports ferroviaires, chers et relativement lents. Ils ne convenaient pas à de la marchandise encombrante, mais de faible poids, qui devant arriver au client, dans toute sa fraîcheur, ne peut s'accomoder ni de la fumée, ni de transbordements successifs. Aussi, à la différence de la ligne d'Apt à Cavaillon, dont nous parlerons bientôt, la ligne Pierrelatte, Valréas, Nyons, roulait avec un rendement très faible. A cela est venu s'ajouter l'élément même qui aurait du être un générateur de prospérité, je veux dire l'implantation du complexe hydro-électrique de Donzère-Mondragon. Pour construire le canal, il fallut démolir le pont ferroviaire de Pierrelatte. La ligne ayant été, entre temps, désaffectée. L'indemnité compensatrice à la C.N.R. aurait été reportée sur un pont routier (ceci sous toutes réserves). C'était la mort sans phrases pour le petit train.
Souvenirs d'un passé proche.

Le souvenir, pourtant, n'en est pas aboli. Quelques sondages, en flanant à travers les rues de Valréas et les chemins des environs, vont nous le prouver. Voici d'abord Madame Bertrand. Madame Bertrand habite à l'ancien passage à niveau du chemin de Marie-Vierge, c'est à dire dans le prolongement du chemin du cimetière. Pendant que nous parlons, deux chats, sans race bien déterminée, ce qu'on appelle du côté du Dr Mery, des chats d'Europe, jouent joyeusement sur le carreau de la petite cuisine. "Eh oui, me dit madame Bertrand, c'est moi qui ait été la dernière garde-barrières de ce passage à niveau. Mes parents, d'ailleurs, ont habité cette maison avant moi, car mon père, M Barre, a fait toute sa carrière à la S.N.C.F.. Moi j'ai épousé un ouvrier imprimeur, mais j'ai continué la tradition familiale". Je jette un coup d'oeil circulaire dans la pièce, très propre, très bien rangée et je fais remarquer. "Je vois que les gardes-barrières de la S.N.C.F. étaient plus favorisées que leurs collègues de la petite ligne du Buis. Vous avez l'eau courante...
- Ah non, en réalité, c'est mon père qui a fait installer l'eau. Avant, nous n'avions que le puits. Et voyez, nous n'avons pas l'électricité. Nous nous éclairons au butane.
- Mais voyons, le courant arrive bien dans ce quartier?
- Oui, mais qui sait où nous serons demain? Nous sommes comme on dit des occupants à titre précaire. Lorsque la maison sera mise en vente, si nous n'arrivons pas à l'acheter, il nous faudra partir.
C'est à quelque chose près la situation de Madame Peyrelon que nous avons vue l'autre jour. ...........

Extraits d'un article paru dans LE PROVENçAL en novembre 1958. Reportage de Jean Boissieu. (A D Vaucluse)

(suite de l'article... Ligne de Cavaillon à Apt)

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04/11/2007
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