MONSIEUR A. R MECANICIEN DE ROUTE...

 

Monsieur A. R.,

Mécanicien de Route...

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M André R. est entré à la S.N.C.F. en 1935. Il a fait une carrière de mécanicien de route vaporiste à Avignon. Il fait part de ses souvenirs à M J. C. Capdeville.

Je voulais entrer au chemin de fer. J'avais fait une demande, mais je n'arrivais pas à rentrer au dépôt. Alors je me suis fait "pistonner" par quelqu'un qui connaissait Edouard Daladier qui était Président du Conseil... Huit jours après, je rentrais au dépôt... Je suis rentré comme manoeuvre...
Et puis la guerre est arrivée. J'ai été fait prisonnier. J'ai atterri en Prusse Orientale, au stalag 1B. Nous étions 200 000. J'y suis resté 5 ans. Je me suis évadé, j'ai été repris... On a été libérés par les Russes. On a atterri à Varsovie. J'y suis resté 2 mois, lôgé dans des maisons brûlées, car il ne restait plus rien. Au bout de 2 mois, ils ont fait un train pour rapatrier 2000 prisonniers vers Odessa. Je n'en faisait pas partie, et puis au dernier moment il manquait des hommes alors on a tiré au sort et j'ai eu de la chance. Huit jours de train entre Varsovie et Odessa! On est resté 1 mois à Odessa et puis après il y a eu un bâteau. J'ai été appelé dans les 50 derniers... Qu'elle émotion! On nous a débarqués à Marseille. Puis j'ai pris un train pour Avignon. En arrivant, je suis tombé sur le chef de dépôt, M Oisel. Il m'a reconnu. Il m'a posé beaucoup de questions. Il m'a demandé où j'allais. Chez moi à Mondragon, je lui ai répondu. Alors il a demandé à son chauffeur de me conduire directement dans ma famille à Mondragon, avec sa voiture. Il m'a dit, prenez le temps de vous reposer et quand vous serez rétabli, quand vous serez prêt, venez me voir. Je suis resté 3 mois et puis je suis venu voir M Oisel. Il m'a dit je vais vous trouver un emploi dans un bureau. Non, non! Ce n'est pas ce que je veux, je veux faire les rapides. Alors il m'a mis aux 231 G et j'y suis resté. J'ai fini aux mazout (141 R). C'est là que j'ai fait le train présidentiel avec Morand. J'ai une anecdote à ce sujet. Le lendemain dans la presse il y avait une photo de l'équipe de conduite et de la machine. Tous les journalistes ont écrit que le premier empressement du Président de la République a été de serrer la main à l'équipage... Eh bien c'était faux! Il n'est pas venu à la machine. J'étais en colère... Je voulais faire passer un démenti et puis mon épouse m'a dit de ne pas le faire. On n'a même pas eu un sou d'étrennes... D'habitude il y avait une petite enveloppe...

LOCOMOTIVE PAVOISEE POUR TRAIN PRESIDENTIEL

La Pacific du Mécru Morand pour le train Présidentiel en 1949

Quels parcours faisiez vous à cette époque?
Mon premier train à ma reprise de captivité a été le 52 avec le mécano Michon sur la 231 D 114. Ca a été ma reprise. Avant la guerre je roulais par intermitence. Et puis M Oisel m'a fait nommer chauffeur. Après, j'ai passé l'examen d'élève mécanicien. Nous étions 60 pour 12 places. J'ai été reçu 10 eme. Puis je suis resté 5 ans élève mécanicien, car il n'y avait pas beaucoup de nomminations! 5 ans où j'ai quand même roulé à mon compte. 5 ans avec le même chauffeur. En fait j'étais chauffeur autorisé à la conduite. J'ai eu de la chance, pas un incident dans toute ma carrière. J'aurais pu en avoir 1 une fois. C'était à Lyon en redescendant le train 33. Habituellement je ne faisait pas de vérification de la machine après la mise en tête, mais ce jour là, je ne sais pas pourqu'oi j'ai fait le tour de la machine. Heureusement, car je me suis aperçu que j'avais oublié de remettre le bouchon de la bielle motrice côté grosse tête! Alors là on aurait fait 10 bornes et ça aurait été la catastrophe... On grillait tout et même avec le risque de dérailler. Depuis ce jour là, j'ai toujours fait le tour de la machine.
J'étais un mécano plutôt sympa. Souvent je disais au compagnon prend le régulateur et je fais la chauffe. Il n'y a a pas beaucoup de mécanos qui le faisaient. Le travail était très dur, mais j'aimais ça, j'étais "au paradis". J'avais ce métier "dans la peau".

PACIFIC A AVIGNON

Avez vous d'autres anecdotes?
On pourrait parler du charbon... Je vais vous dire, la S.N.C.F. faisait toujours les choses à l'envers... Je m'explique. J'étais au service voyageurs. L'hiver il fallait chauffer les wagons avec la vapeur de la machine. Il fallait 5 kg de pression en plus. Tous les hivers on touchait pourtant du mauvais charbon... Il y avait des ordres pour liquider les stocks. Alors on nous donnait ce qui restait et le charbon qui a été stocké longtemps à l'extérieur il perd de ses qualités. L'été, quand il n'y avait plus le chauffage, on nous donnait du "spécial" de l'Anzin, alors qu'on ne savait pas quoi faire de la pression... On avait toujours peur de faire cracher les soupapes... il ne fallait pas arroser les voyageurs. C'est comme l'abri des machines... Il n'y avait qu'un abri trop court, on se mouillait comme des rats... Ils n'ont jamais rien fait pour protéger vraiment le personnel... Heureusement les circulations tender en avant étaient très rares.

Vous souvenez vous de l'hiver 1956?
Oui. En 1956 on est restés 3 jours sans faire des trains. On est restés au dépôt... Ca a été terrible. Le premier jour du froid je suis descendu avec la machine de réserve qu'on m'avait donnée à Vénissieux et j'ai "grillé" les 2 bielles motrices... J'ai eu beaucoup de mal pour arriver jusqu'à Avignon. j'étais pas rassuré.

Pourriez vous revenir sur votre début de carrière?
J'ai donc été nommé élève mécanicien et on m'a mis à mon compte. Le premier train que j'ai fait c'était un train de ballast. Le 2 eme jour un train de marchandises. Le 3 eme jour, le sous-chef de feuille, M Boyer (il ne rigolait pas souvent...) me donne ma feuille... Je lui dit, vous me commandez pour un express mais je ne suis pas autorisé. Il me répond, faites votre train, moi je vous autorise. Je fais mon train.. c'était un peu impressionnant pour moi qui était tout "neuf". Repos... A la reprise, c'est encore lui qui était à la feuille et il me commande au RS (Riviéra-Strasbourg)... Mais M Boyer, je vous l'ai dit, je viens juste d'être reçu élève mécanicien, je ne suis pas autorisé... Faites votre train, je vous autorise. A votre retour vous serez accompagné par M Chambon, chef mécanicien. Au retour il m'attendait... Huit jours plus tard le chef de dépôt me convoque... J'ai eu peur d'avoir fait une bétise. Il me dit vous connaissez la ligne de la rive droite? Oui, je la connaissais bien, car c'est celle des trains de marchandises. C'etait une ligne difficile avec des courbes, des montées... Il fallait bien savoir se servir du régulateur... Eh bien vous n'aurez donc pas de regrets, me dit il... et il m'a autorisé aux rapides. Et je suis donc resté 5 ans élève mec avec le même compagnon, un gars de chez moi, de Mondragon. Calandini, il s'appelait. C'est une situation unique. D'ailleurs, ça faisait des jaloux. J'ai toujours fait mon travail sans m'occuper des autres. J'étais une tête dure, mais au boulot j'ai toujours été dsicipliné. J'a itoujours rendu service quand il le fallait. A cette époque il y avait du travail à outrance. Quand il y a eu les rapatriés d'Algérie, on faisait les trains "paquebots". Lyon-Marseille en FAC... J'étais un avaleur de kilomètres mais je gagnais bien ma vie.

Comment avez vous vécu cette forme de vie de famille?
C'est le régime particulier des roulants. On le sait. Il faut passer des nuits, des jours fériés dehors. Il faut se sacrifier, on le sait, c'est comme ça. Alors on a ensuite une récompense, c'est une bonne retraite. J'estime que quand on fait un travail il faut le faire avec amour. C'est ce qui s'est passé pour moi. Au travail il faut se faire respecter, mais il faut aussi respecter les autres. Je suis déçu de voir ce qui se passe maintenant...

Avez vous aussi conduit d'autres machines?
Oui les 141 R. Elles étaient "banales". Des machines infernales. Heureusement qu'elles étaient solides, car elles étaient malmenées. Pauvres machines. Alors ils ont décidé de les mettre en double équipe. Moi j'étais ravi car j'avais un collègue intime (il a fini chef de traction)... On aurait eu 1 machine à deux. Puis ça ne s'est pas fait. On s'était entendus pour se mettre ensemble... Alors là, je peux vous dire qu'on aurait fumé tout le monde. On faisait des rapides avec les R. Il y avait même un train sur lequel il n'y avait pas d'arrêt prévu à Valence. Nous étions les seuls à ne pas faire de l'eau à Valence, Moulières et moi... Tous les autres devaient s'arrêter quand même pour ravitailler... Alors je vous dit pas le régulateur... Il faut dire, ils démarraient trop fort... Autrement, ça a été des machines d'une solidité... Au début il n'y avait pas de chrono alors on roulait vite... peut être à 140 km/h! Puis il ya eu des incidents et ils ont installé le chrono et limité les machines à 100. Mais on marchait des fois à 105... Je me souviens qu'une fois à la traversée de Livron, je me suis fait peur... C'était encore quand il n'y avait pas le chrono. On est passé à fond. Il faut dire au départ, M Oisel m'avait dit faites attention quand même, mais il faut rattraper l'heure... Et on a rattrapé le temps perdu. A cette époque là ils ne disaient rien, il n'y avait pas le chrono...
Il fut un temps où c'était les chefs de trains qui établissaient le bulletin de traction. Après, comme ils ont trouvé qu'on ne travaillait pas assez, ça a été aux mécaniciens de remplir le bulletin. Finalement, c'était pas plus mal, car des minutes j'en ai rattrapé... J'en ai gagné du temps... Par minute rattrapée on avait une prime de 5 Fr...

Quels autres souvenirs avez vous de votre carrière?
Beaucoup de jalousies... Ca a toujours existé, partout. Par exemple, je n'étais qu'élève mécanicien et pourtant j'ai été rapidement autorisé aux rapides... Alors on ne me "voulait du mal"... Mais moi je dis que chacun doit faire sa vie sans regarder les autres. J'ai embrassé cette carrière. Une vraie vie de galérien. Alors à subir tout celà il faut gagner de l'argent.

Vous aviez de la "pression" de la part de l'entreprise pour travailler plus?
C'est au mécano de ne pas accepter de la surcharge. Aux messageries on ne doit pas accepter plus de 900 Tonnes, aux rapides 800 T.. Quand je vois maintenant, ils ont de la force à profusion... et ils ne font que des trains courts. Alors que nous avec nos "pauvres" PACIFIC on avait jusqu'à 14 et même 16 pièces (wagons)! Alors les jours où il y avait en plus le Mistral qui soufflait... Ces pauvres machines... On était au maxi de la charge.

Comment s'est terminée votre carrière?
Un peu tristement. Comme je n'avais pas voulu aller aux électriques j'ai fini aux 141 R. On faisait de la bricole... Cavaillon, Miramas, la ligne de la côte bleue... J'ai fini à la patache. La ligne de la côte bleue, elle était très difficile avec tous ces tunnels...

Que retirez vous de cette carrière?
Je suis très très content de l'avoir faite. Je le dis, c'est un peu égoïste, mais j'ai fait le plus beau métier du monde.

Quel avenir voyez vous pour le chemin de fer?
Son avenir je le souhaite prospère. Je voudrais qu'il soit bien dirigé, pour qu'il puisse bien se développer, car il le mérite.

Nous vous remercions, Monsieur, pour ces souvenirs.

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19/07/2008
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