MONSIEUR G. A. SABOTEUR AU TRIAGE
Monsieur G. A.
"Saboteur" au triage de Fontcouverte...
M Georges A. est entré à la S.N.C.F en 1959. Il fait part de ses souvenirs à M J.C. C.
Vous êtes entré au chemin de fer en 1959, à Cavaillon. Qu'elle y était votre fonction? C'était le grand triage "primeurs" de la région, avec beaucoup de trafic. Quelle fonction y aviez vous? Le rail déviateur, c'est un appareil qui n'existe plus aujourd'hui. C'est un appareil métallique très lourd qu'il fallait poser sur le rail devant un wagon en mouvement pour le freiner ou l'arrêter. Il fallait courir et être très agile. C'était dangereux. Pouvez vous nous en dire plus. Comment ça se passait, surtout la nuit? Pendant combien de temps avez vous fait ce travail? Vous avez eu un grave accident du travail. Accepteriez vous de nous en dire un peu plus sur les circonstances et les conséquences de cet accident? Ce terrible "épisode" montre toute la dangerosité de ce métier, qui heureusement à maintenant disparu. Après cela que s'est il passé pour votre réintégration?
Je travaillais un peu à tout. Au triage, à la formation des trains, au quai marchandises, etc.. Et puis, en 1961, j'ai fait une demande de permutation pour Avignon. Je me suis donc retrouvé à Fontcouverte.
J'étais au rail déviateur, saboteur. C'est là que j'ai eu mon accident. Je faisais aussi la formation des trains. Il y avait beaucoup de wagons S.T.E.F....
Il fallait faire vite. Souvent on avait plusieurs "races" de sabots. Il y en a qui fonctionnaient plus ou moins bien. Il y en a qui tenaient plus ou moins bien. Il y en a qui étaient mal pris par la roue et "giclaient" au risque de te... de t'"esquinter". Une fois, M Bardel, le chef de gare est venu. Il disait :"fils, place celui-là... fils, essaie celui-ci...". Il faisaient des essais... Et voilà les choses du rail déviateur...
Très peu de temps, car j'ai eu mon accident dans la nuit du 6 au 7 avril 1961. Je ne suis pas resté longtemps au rail déviateur.
C'était le moment où on agrandissait Fontcouverte. On ajoutait de nouveaux aiguillages, de nouveaux fils. On avait ouvert une tranchée là où je passais. Le "gars" du poste disait :"ATTENTION! voie 42, 3 wagons... voie 52, 2 wagons..." Alors il fallait remonter plus ou moins loin le sabot. Et là, il m'annonce 3 wagons chargés. Je monte le sabot au maximum et je m'en vais en courant. J'arrive au niveau de la tranchée qui était recouverte d'une tôle. Quand je suis arrivé au niveau de la tranchée qu'on avait recouverte avec une tôle au moment où mon poids à fait "ça", ça m'a fait un "croche pattes"... Je suis "parti" mais les 3 wagons venaient quand même... Ils m'ont passé dessus.
Je me suis relevé. J'avais la main pleine de sang. Je me suis dit ça y est tu t'es fait mal. Alors j'ai crié arrêtez je me suis fait mal. Mais toujours le micro annonçait des voies et des voies, ça s'arrêtait pas. Personne ne m'entendais et les wagons continuaient de descendre et le poste d'annoncer les coupes. Alors j'ai traversé les voies et je suis monté au poste. Quand les collègues m'on vu, ils ont tout de suite appelé les pompiers. Mais les pompiers se sont trompés de gare, ils sont allés à la gare TAA... Il a fallu qu'ils fassent le tour par le P.N. qui était fermé. Bref, ils sont arrivés tardivement. Quand ils sont arrivés au poste, on a enlevé mon gant et on a vu que ma main était toute blanche, le sang n'y parvenait plus. Ils m'ont mis de force sur le brancard, car je ne voulais pas m'y allonger, je ne me sentais pas mal, et ils m'ont conduit à la clinique Pamard. Quand je suis arrivé, j'ai été anesthésié tout de suite et on m'a opéré... on m'a coupé le bras.
Ca n'a pas été très facile... En premier lieu on m'a convoqué pour me proposer une forte somme en dédommagement et un poste de concierge dans une briquetterie à Bollène. J'ai refusé. Je voulais rester au chemin de fer. Alors on m'a proposé un poste à Avignon au bureau marchandises... Mais c'était peu après mon accident et je ne savais pas encore bien me débrouiller avec un seul bras. Alors j'occupais des postes peu intéressants. Je faisais le "pièton". J'allais à la halle puis au bureau des marchandises récupérer des papiers et les apporter aux taxateurs... Petit à petit les relations avec mes supérieurs se sont dégradées. Alors je suis allé voir le chef de gare... Il a pris ma demande en considération et on m'a proposé un poste plus intéressant.
Le triage de CHAMPFLEURY au milieu des années cinquante. Au premier plan les freins automatiques qui évitent le travail dangereux des "saboteurs".
(document La Vie du rail.)
Vous êtes resté sur Avignon?
Oui. On m'a demandé d'aller au service des voyageurs, au service "réservations". A cette époque ça se faisait manuellement. Il y avait des bacs avec des fiches par trains... J'avais un micro devant la bouche et des écouteurs sur les oreilles. Je recevais les appels téléphoniques et j'inscrivais les réservations... comme les autres. Mais je n'avais que l'examen de commis marchandises, alors, un jour, on m'a dit vous ne pouvez pas rester à voyageurs il faut retourner à marchandises...
Alors je suis retourné au bureau des marchandises. On m'a mis au service litiges... je devais m'occuper des litiges chez les clients.
Vous avez ensuite retrouvé une carrière presque normale. Après ces mauvais jours, avez vous connu des anecdotes, des histoires amusantes?
Oui, l'ambiance était bonne, on se faisait des blagues entre collègues.
Et puis vous êtes arrivé à l'âge de la retraite. Avec le recul, comment voyez vous votre carrière?
Je suis parti en retraite en octobre 1987. Malgré mon accident, j'ai de bons souvenirs de ma carrière.
Comment voyez vous le chemin de fer d'aujourd'hui?
Il me semble presonnellement que s'est plus mal qu'avant. Il n'y a plus l'esprit cheminot, il n'y a plus la camaraderie qu'il y avait avant...
Nous vous remercions pour ces souvenirs..
Interview menée par M J. C. C. en 1999.