LA CATASTROPHE DE BOLLENE (TEMOIGNAGE)

 

L'"affaire" du déraillement de Bollène la Croisière...

J'ETAIS MECANICIEN SUR LA 241 P 22... LE 19 JUILLET 1957.

 

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Alors qu'il apprenait le métier de chauffeur sur la 241 P 22, M R. F..... s'est trouvé de fait aux "premières loges" du terrible déraillement de Bollène. Il nous livre aujourd'hui les souvenirs de cette journée et de la vie des roulants aux "grandes roues".

Comment a commencé votre carrière au chemin de fer?

J'étais rentré à l'âge de quinze ans comme "arpète" au dépôt de Vénissieux. Après l'apprentissage, j'ai été affecté au matériel, mais je souhaitais surtout "rouler".

Aussi dès que possible j'ai demandé une affectation à la conduite et je me suis retrouvé directement aux "grandes roues". C'était une grande chance d'être admis à la chauffe des PACIFIC* et MOUNTAIN*. Tout de suite, j'ai fait équipe avec M. Mazi.. C'était un "bon" mécanicien. Il approchait de la retraite et nous nous sommes rapidement très bien entendus.

Nous "tournions" en banalité sur les 241 P, principalement entre Lyon et Marseille. Il m'est arrivé aussi quelques fois de rouler sur des PACIFIC. Nous assurions les trains rapides comme le MISTRAL, le NICE-PARIS ou le STRASBOURG-RIVIERA. Ce dernier était d'ailleurs un train "difficile" car très lourd et comportant de nombreux arrêts. Notre machine "avalait" ses 11 tonnes de houille et pour les derniers kilomètres il fallait "racler les fonds de tiroir". Le stocker* ne pouvait aller chercher les dernières pelletées de charbon qui nous manquaient pour terminer, et nous devions finir à la pelle. Pour les autres voyages, nous ne consommions que 6 à 7 tonnes.

Le dépôt de la Mouche, ne comportait que peu d'exemplaires de cette série de locomotives. C'était effectivement de belles "mécaniques" mais toutes ne se valaient pas. La meilleure était la P 14, la P 22 n'était pas l'une des plus appréciées... C'était des locomotives modernes, assez "pointues" au niveau chauffe et conduite.

Comme elles possédaient une certaine propension aux entraînement d'eau, nous devions toujours garder un niveau minimum dans le tube et un oeil attentif sur celui-ci... Trop le laisser baisser, notamment au cours des extraction, pouvait être dangereux. Trop le laisser monter pouvait provoquer les entraînement d'eau dans les cylindres... Utilisées en semi banalité, ces engins étaient soumis à un régime d'utilisation intensif. Les voyages étaient quasi ininterrompus. Dés son arrivée à Lyon ou Marseille, la machine était rentrée au dépôt pour ravitaillement et inspection, puis en repartait avec un équipe fraîche. Bien souvent, surtout en période de pointe, nous n'avions même pas le temps de vidanger complètement le fraisil. Je me souviens même que trois ou quatre mois auparavant, nous avions du basculer le feu en pleine voie et demander la réserve au milieu de la plaine de Crau, entre Marseille et Arles. Le cadre du cendrier de notre P était en train de se "déchirer" et la chaudière s'était vidangée par cette déchirure...

 

La 241 P 22 en facheuse posture.. Les opérations de déblaiement ont commencé. Les grues de relevage ne sont pas encore sur place.(Photo X)

 

Parlez nous de la catastrophe de Bollène...

Le jour de l'accident nous avons pris notre service en début de nuit à La Blancarde. La machine était dehors. Elle venait à peine de "descendre" le MISTRAL. Le temps était mauvais, bien que nous soyons à la mi juillet.

Comme j'étais jeune et que je souhaitais apprendre toutes les facettes de mon futur métier de mécanicien, c'est moi qui effectuais la majeure partie de la préparation de la machine. Cela me permettait en même temps de "soulager" mon mécanicien de ces tâches pénibles...

C'est là, dés cet instant, que notre destin a basculé...

En effet, comme nous étions soumis à une pluie d'orage, j'ai purement et simplement ôté mes vêtements et effectué le graissage torse-nu. Ce détail, apparemment sans importance, va s'avérer crucial quelques heures plus tard... Quand mon ouvrage a été terminé, je suis remonté sur le tablier et y ai retrouvé mon bleu et ma chemise secs. Je m'en suis revêtu... C'est probablement cette étoffe qui me recouvrait le corps, qui m'a protégé des brûlures lors de l'accident. Elle m'a probablement sauvé la vie. Si j'avais été mouillé, comme mon mécanicien, je ne serai resté, comme il l'était, qu'en bras de chemise...

Bref nous avons accosté notre train à Marseille Saint-Charles sous la pluie, et conservé assez longtemps le mauvais temps, ou pour le moins une espèce de brume persistante. Le voyage s'est ensuite déroulé de façon tout à fait normale jusqu'à Bolléne...

Lorsque nous avons aperçu le rappel de ralentissement qui annonçait l'aiguille prise en déviation, nous avons immédiatement compris que quelque chose n'était pas normal et que nous allions dérailler. Le mécanicien a instantanément freiné et pour ma part je me suis agrippé à la main courante en attendant... Presque immédiatement tout à basculé. Dans un bruit infernal , le monde s'est retourné.

Le freinage d'urgence n'avait pas eu le temps de ralentir le convoi de façon significative. Nous avons abordé l'aiguille à une vitesse élevée. Dés que l'ensemble à pu retrouver une forme d'équilibre, je me suis relevé. j'étais choqué mais... vivant. La machine était couchée sur son flanc gauche, ce qui m'a permis de m'extraire tout de suite de ma fâcheuse posture. Il y avait beaucoup de poussière tout autour de moi. La vapeur fusait de la chaudière.

Lorsque je me suis retrouvé debout sur le sol, j'ai aperçu les roues du bissel qui tournaient encore... Mon premier réflexe fut de penser à la protection des autres convois. Mais je ne pouvais atteindre les "agrès" placés à l'origine dans l'abri de la locomotive. Le temps entre le moment ou nous avions abordé l'aiguille et celui où la machine s'était immobilisée m'avait paru très long. Dans mon esprit je pensais que nous nous trouvions à proximité du sémaphore de sortie de la voie de garage. Je me suis alors dirigé vers ce qui devait être la bonne direction. Je savais trouver au pied du signal un téléphone de voie qui m'aurait permis de donner l'alerte.

J'avais présumé de mes forces.

Après avoir parcouru un peu plus d'une centaine de mètres je me suis évanoui sur la voie... Je n'ai été retrouvé à cet endroit que beaucoup plus tard, quand le jour s'est levé, par un jeune militaire qui m'a conduit vers la ferme la plus proche. Mais, effrayés par tout le remu ménage, les propriétaires des lieux ont refusé de nous laisser entrer.

En désespoir de cause, mon sauveteur m'a ramené vers la gare où j'ai enfin été pris en charge. Ceci explique pourquoi les pompiers qui s'activaient sur les "restes" du convoi me recherchaient activement mais en vain. Certains craignaient même que je ne sois écrasé sous la machine ou le tender (les coupures de presse confirment effectivement que le chauffeur était toujours porté disparu).

Que s'est il passé pour vous et votre mécano?...

J'ai été brûlé à 50%, mais mes vêtements m'ont probablement protégé des "morsures" de la vapeur. Par ailleurs, les 241 P avaient la fâcheuse tendance à provoquer des maux de reins au personnel de conduite à cause du courant d'air. Pour m'en garantir je m'étais enveloppé d'une large bande "velpeau" dont les femmes se servait pour se bander la poitrine. Cela se faisait à l'époque... Ceci aussi à du contribuer à me garder la vie sauve. J'ai effectué, malgré tout, un séjour de cinq mois et huit jours à l'hôpital d'Avignon.

Le mécanicien n'a pas eu la même chance que moi. D'abord parce que la machine s'est couchée de son coté et qu'il à certainement été, de ce fait, fortement contusionné. Mais c'est surtout la vapeur qui a entraîné son décès. Il n'était pour sa part qu'en chemise. Il s'est retrouvé face au jet de vapeur brûlante s'échappant d'un bouchon autoclave qui avait éclaté durant l'accident. Il est décédé un peu plus tard à l'hôpital...

Après ce séjour à l'hôpital, je suis rentré chez moi pour ma convalescence. Très curieusement, lorsque j'ai repris le train pour rentrer... C'est la 241 P 22 qui le tractait!!! Elle avait été réparée et avait déjà repris son service. J'ai donc pu terminer ce voyage interrompu presque dans les conditions de celles de mon départ. Les coïncidences sont parfois étonnantes...

Lorsque j'ai repris le travail au dépôt, des cours étaient dispensés aux élèves mécaniciens pour la future traction électrique. Je me suis donc inscrit à ces sessions et c'est ainsi que je suis devenu conducteur "électrique". Je suis maintenant en retraite, après une carrière de roulant. Mais ma carrière de mécanicien vaporiste s'est donc terminée avant même d'avoir commencé. De toute manière, la traction vapeur était déjà condamnée et les machines n'allait pas tarder à quitter la ligne impériale pour faire place aux motrices électriques.

Comment s'est déroulée l'enquête?...

J'ai vécu tout cela d'assez loin, car j'étais hospitalisé puis en convalescence. J'ai été interrogé, bien sûr, mais on ne m'a pas demandé de venir témoigner au procès. Tout ce que je sais c'est que M MAZI (le seul responsable officiel, dans la conduite du train) a été blanchi. Il semblerait que certains dysfonctionnements dans l'organisation aient été trouvés et que de ce fait la S.N.C.F. a été reconnue seule coupable.  Comme à chaque fois qu'un accident se produit, les résultats de l'enquête ont conduit à des modifications ultérieures dans le règlement et les procédures, notamment la mise en place de carnets de bons à compléter en cas de non fonctionnement de l'appareil répétiteur de signaux.

Par la suite, une plaque commémorative a été apposée auprès du lieu de l'accident à l'initiative de l'épouse du mécanicien. Elle se trouve toujours, au niveau du pont qui enjambe la voie. Elle rappelle aux passants qui ont la curiosité de s'en approcher, qu'ici un drame s'est déroulé... C'était au coeur d'une chaude nuit de juillet 1957...

Propos recueillis en 1996



02/02/2008
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