MONSIEUR R. P. MECANICIEN DE ROUTE...

 

Monsieur R. P.,

Mécanicien de Route...

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M René P... est retraité de la S.N.C.F. Il a effectué toute sa carrière comme Mécanicien vaporiste au dépôt d'Avignon. Il nous fait part de ses souvenirs.

Quand et comment êtes vous entrée au chemin de fer?
Eh bien, j'y suis entrée en 1937 à l'époque du P.L.M., juste après le front populaire et avant l'avènement de la S.N.C.F.. J'ai fait un essai technique à l'atelier d'ajustage. Une queue d'arronde... J'ai mis un peu de temps, mais je m'en suis bien sorti. J'ai été embauché à l'atelier. A l'atelier, on fasait aussi des maneouvres sur les machines. C'était obligatoire. C'était écrit dans notre contrat. On devait accepter d'aller sur des machines à la demande. On ne pouvait pas refuser de rouler. Il y en a beaucoup qui ne voulaient pas rouler... On m'a donc mis à l'atelier. J'y suis resté 6 ans. Un jour, le contre maître principal est venu et m'a dit "Rendez votre outillage. Vous êtes nommé chauffeur..." C'est comme ça que ça se passsait... Quand j'ai été chauffeur, j'ai travaillé le règlement, car je ne voulais pas rester chauffeur, brûler du charbon... Il y avait au dépôt des chauffeurs qui faisaient ce métier depuis 7 ans, 10 ans... Des gars qui venaient de haute Loire, d'Ardèche... Mais le règlement ne leur rentrait pas dans la tête... Quand on était prêt, on nous faisait passer un pré-examen au dépôt avant de nous envoyer à Marseille pour passer devant un jury d'ingénieurs... Le chef de dépôt m'a dit "Vous savez, il y a beaucoup de gens devant vous à faire passer. Vous n'avez qu'un an d'ancienneté dans le grade, vous êtes jeune...". Je lui ai dit, vous n'avez qu'à m'interroger... Alors il m'a dit On vous enverra à Marseille...".
A l'atelier je travaillais dans les foyers des locomotives. Du travail de chaudronnier. C'était un travail très dur. Il fallait rentrer dans les foyers. Des fois ils étaient encore chauds, alors là on mouillait la chemise... Sortir des tubes c'était pas drôle. Un sale travail.
Mais c'était un travail plus libre. Pas comme à l'atelier où on avait le contre maître là derrière. Nous, on nous donnait des fiches le matin, on les rendait le soir. On avait tant de machines à vérifier. On se débrouillait comme on voulait. Vous voyez ce que je veux dire?

J'ai donc été nommé chauffeur et après, j'ai attendu 3 ans pour être nommé Elève Mécanicien. Puis, ensuite, j'ai attendu 6 ans pour être nommé Mécanicien. Là on ne passait plus d'examen. Et encore j'ai eu de la chance... Je dois dire que je plaisais bien... Je ne sais pas pourquoi. Je n'étais pas meilleur qu'un autre... Pourtant, je passais pour le meilleur mécanicien du dépôt! En étant seulement élève mécanicien j'avais été autorisé aux rapides, chose qui n'arrivait pas habituellement. Quand je disais à Lyon, les collègues ne me coyaient pas. Ils disaient c'est pas possible. Ici, c'est interdit. Et pourtant, j'étais bien autorisé aux rapides.

Je vais vous raconter une anecdote... Un jour, il y avait le train 3 qui descendait de Lyon. A son bord se trouvait la fille du Président Auriol. Par malchance, le train avait déraillé en gare de Saint Rambert et, bien sûr, il avait du retard. A Avignon, on était 3 machines à prendre la réserve. On nous a envoyés en gare. Il y avait déjà une machine, puis moi et une autre devant. Les autres étaient tous des Mécaniciens titulaires, moi j'étais seulement élève mécanicien. Quand le train est arrivé avec plus de 2 heures de retard, le chef de gare c'est approché de nous et a dit "Qui c'est le mécanicien P...?". C'est moi... Alors il a dit aux autres mécanos d'aller se mettre sur la voie en cul de sac pour me laisser sortir et prendre le train... Inutile de dire que les autres mécanos n'étaient pas contents. Je n'en fait pas une épinglette... Quand je suis arrivé à la Blancarde, un journaliste est venu me voir et m'a demandé où était le train déraillé. C'est celui là. Il pensait, peut être, trouver un train tout tordu tout cabossé.

Une autre anecdote. On montait, le soir le train de permissionnaires Allemands. J'étais encore chauffeur à cette époque. Le train partait vers les 7 heures. J'aimais pas faire ce train. Je craignais que l'on nous fasse "sauter" dans le robinet de Donzére. Là, c'était ou le rocher ou le Rhône! On va en gare de Montélimar et on prend de l'eau. Pendant ce temps des Allemands étaient en groupe. L'un d'entre eux jouait de l'accordéon, les autres chantaient. J'ai dit au mécano "Chante merle, ta cage brûle". Alors l'un des Allemands s'est approché et nous a dit "Elle est pas encore brûlée"... Il comprenait le français... J'ai refermé la grue et je suis remonté sur la machine... (rires).

Vous avez donc été, ensuite, mécanicien titulaire...
Après, je suis passé mécanicien de route et on m'a classé une machine, une 140 C. On faisait des marchandises. Puis, je n'ai pas attendu très longtemps et on m'a classé une 231 G.
Je vais vous parler de mon dernier chauffeur. Parce qu'avec mes chauffeurs je me suis toujours bien entendu. Il y en a un qui s'est tué en voiture il y a quelque temps. On est encore amis avec sa femme... Mais mon dernier chauffeur, c'est le patron qui me l'a imposé. Il m'a fait appeler et m'a dit On va te classer un chauffeur. J'en ai déjà un, je n'en ai pas besoin... Mais on me l'a affecté. C'était un homme qui venait d'avoir un grand malheur familial. Il avait perdu ses 2 fils de 16 et 17 ans, morts asphyxiés dans leur appartement. Alors on m' a dit "On va vous le donner. Avec vous il sera en de bonnes mains. On vous fait confiance..." Je l'ai gardé pas mal de temps. Avec lui on cherchait toujours des co....ies à faire. C'était surtout pour le faire rire, car souvent il était morose. Son malheur était encore trop récent. Alors, quand il y avait de bonnes blagues à faire... Par exemple, un jour, on remontait sur la rive droite. Après le Teil, à Mauve, il y avait un petit pont. De loin, sur le pont, je vois du monde, on aurait dit un mariage... On roulait lentement. C'était limité à 60. C'était bien un mariage. Alors je lui ai dit "Tu as vu? Quand on va passer dessous, ouvre le mazout en grand"... On a fait une fumée terrible... 3 kilomètres plus loin on ne voyait toujours pas le pont! (rires) Alors, c'était pour l'amuser. On en a fait bien d'autres...

Vous n'avez jamais circulé sur des diesels?
Non, seulement de la vapeur.

Vous vous rappelez de votre fin de carrière? La dernière machine?
La dernière machine en temps que titulaire c'atait la 231 G 9. Après, j'ai tourné sur des 141 R en banalité. On changeait tout le temps de numéro.

LOCOMOTIVE PACIFIC

Pacific du PLM.
( Coll JL BEZET )

 

Avez vous une autre anecdote à nous raconter?
Une fois, j'ai eu un pépin en descendant de Lyon. A Sainte Colombe les Vienne, il y avait un sémaphore. On arrive en courbe. Le compagnon le voit, de là où il est placé, mais pas moi. On arrive en gare, le sémaphore était à l'arrêt. On l'a franchi. On l'avait vu trop tard. Je me suis arrêté plus loin, car un train ça ne s'arrête pas comme ça. Je reviens en gare et je vois le chef de gare qui me dit " Vous avez passé le sémaphore! Qu'est ce qui s'est passé?" Je lui dit que ça n'était pas possible, que de toute façon nous n'avions pas été avertis, car le disque était ouvert. Je lui ai demandé un bulletin 363 et je suis reparti. Quand je suis arrivé au Teil, l'incident était déjà signalé. Le chef de dépôt m'a dit, vous arrêtez ici et vous rentrez en voiture. Plus question de conduire tant que l'enquête n'aurait pas déterminé les causes de l'incident. Alors je suis resté 8 jours à la "bricole". On est montés à l'enquête. Il y avait un ingénieur représentant le service de la voie, le chef de dépôt de Badan, et le chef de dépôt d'Avignon. D'entrée , il leur a dit "Messieurs, le mécanicien ne peut pas être mise en cause"... Ils avaient analysé la bande flaman et ils avaient vu que le disque n'était pas pointé. D'ailleurs je l'aurai vigilé... Il y avait donc un probléme de dérangement des installations. En attendant, j'avais perdu une semaine de bricole...

Revenons à votre dernier train...
Mon dernier train... Je ne me souviens pas bien. Je vais vous dire, un jour je rentrais de tournée et j'ai vu un collègue qui m'a dit, si tu veux partir c'est possible... Alors je lui ai dit, prépare les dossiers et je pars. C'était au mois de septembre... Alors, je ne me souviens pas bien des dernières tournées. Aux rapides on se souvenait mieux des trains, car il y en avait de plus ou moins difficiles...

Quel souvenir gardez vous de cette carrière? la referiez vous?
Oui, j'ai aimé ce métier. C'était pas mon métier à l'origine, je n'étais pas mécanicien. Mais j'ai aimé mon travail... Parce qu'il y avait une ambiance spéciale... Un engrenage de "bien faire", de responsabilité... Tous les matins vous partez avec ça, et même le soir quand vous rentrez, chez vous, vous y pensez encore. C'est plus prenant que d'aller faire 3 heures à l'atelier... Et puis, pour moi, c'était la liberté. Moi, j'étais le "patron". D'ailleurs, les chauffeurs nous appelaient leur patron "Je suis avec mon patron...". Le matin on prenait sa feuille de route, après on ne voyait plus personne, seulement de temps en temps un chef mec, qui ne savait pas par quel train rentrer ou pour une occasion particulière (avarie, etc.)... Avec les gares, par contre, on s'attrapait souvent...

Quelle vision avez vous du chemin de fer actuel?
Par rapport au chemin de fer que j'ai connu, c'est plus du chemin de fer. C'est mon avis. Parce qu'on a tiré que sur la vitesse, les grands trains. On a abandonné tout le reste. Si après la guerre on avait gardé les lignes, je suis sûr qu'à présent elles travailleraient beaucoup. Je ne sais pas ... c'est plus de la même façon. Les employés des gares ne travaillent plus de la même façon... Un cheminot, avant; c'était quelqu'un... il aimait son travail. C'est un autre chemin de fer. C'est une autre époque.

Il manque, peut être un peu de fraternité?
C'est plus possible. Avant on était sur une machine avec un chauffeur et puis il y avait le chef de train en queue. Il y avait une "équipe" sur un train. Tandis que maintenant, il n'y a plus rien. Un conducteur seul en tête. Il ne voit plus personne. Quand il a son repos dehors, il va tout seul au foyer... Il visite sa chambrette, il se couche, il repart... il ne voit plus personne.

Si vous aviez un conseil pour un jeune qui voudrait entrer à la S.N.C.F., que lui diriez vous?
Je lui dirait que c'est à faire quand même. Mais je lui dirait d'aller à la route. Il y a d'autres services, c'est plus dur... Je me souviens dans les triages, on abusait des hommes... Imaginez courir pendant 8 heures après des wagons pour placer les cales, par tous les temps! Pour les payes qu'ils avaient, c'était horrible. Il ne se passait pas un mois sans qu'il y en ait un qui ait un bras ou une jambe coupée. Ils allaient les chercher en Haute Loire... Il n'y avait pas de Lyonnais dans les triages... Il y avait ici aussi, les hommes au quai à combustibles... Ils avaient 36 bennes à remplir par jour. Chaque jour il y avait un train entier de charbon qui arrivait, il fallait qu'il soit rapidement dégagé. Dans les 8 heures de travail ils avaient 36 bennes! les premières, ça tombait encore facilement, en ouvrant les portes, mais ensuite, le charbon il fallait bien aller le chercher. C'était très dur. Je parlais dernièrement avec un ancien aiguilleur. Pour eux aussi, c'était dur... Passer 8 heures à tirer sur des leviers, et puis il ne fallait pas se louper.

Le chemin de fer a beaucoup changé, mais je crois que vous avez gardé cette passion pour le rail, pour le T.G.V....
Oui, je trouve que c'est une très belle chose. Il fallait le faire, pour concurrencer les autres moyens de transport. Mais il aurait fallu concurrencer dans tous les domaines. Mais maintenant, avec le T.G.V., on ne peut plus faire comme avant (NDLA à l'époque de l'interview, la ligne nouvelle n'est pas encore en service. Les T.G.V. utilisent la ligne classique en dessous de Lyon), on ne peut plus prendre des wagons. Avant on roulait plus lentement, on s'arrêtait... Alors on avait le temps d'incorporer des wagons en cours de route...

Souhaiteriez vous nous parler d'un élément particulier?
Oui, je vais vous parler du déraillement de Bollène. Je peux vous en parler en détail et vous dire les causes. D'ailleurs, le mécano c'était un Lyonnais. Je le connaissais bien. C'était le train 60. Je l'ai fait, aussi des fois sur Lyon, le train 60. Le mécanicien, il a eu les signaux... le premier signal au jaune... Il faisait orage, on ne voyait pas bien... Il a vu du jaune, mais il a du laisser "courir"... On avait une mauvaise habitude... On le faisait tous un peu aux rapides... On essayait de ne pas trop perdre de minutes. Quand il a vu le deuxiéme jaune, le rappel, c'était trop tard... Il a dit au chauffeur "tiens toi, on va dérailler". Au chemin de fer c'est pas comme un camion. S'il passe au feu rouge, personne ne le voit. Ici, si on passe à 60 sur une aiguille à 30 on déraille. Un rail est entré dans le corps cylindrique de la chaudière, il y a eu un jet de vapeur. C'est dans les premières voitures qu'il y a eu le plus de victimes, à cause de ça. C'est à cause du PC de Valence. Ils ont dit à Bollène "il y a la messagerie qui monte, il faut le garer. Derrière il y a le 60...". Ils se sont trompés. Si ça avait été la messagerie, il se serait arrêté, mais c'est le 60 qui s'est présenté. Il y a une part du PC et une part du mécano qui roulait trop vite. S'il n'y avait pas eu le mauvais temps, il aurait vu le rappel de loin, il aurait eu le temps de freiner. C'était trop tard. Les causes sont nettes. Ce matin là, je descendais le 59, un express qui descendait la presse. Quand je suis arrivé avant Bollène, j'ai vu un signal de ralentissement pour entrer au garage... Dans le règlement on ne doit pas garer un rapide. Alors je suis allé au téléphone et on m'a confirmé le garage. Et à Bollène, j'ai vu le spectacle. Et encore, ça avait déjà été un peu déblayé. C'est sûr il a vu le jaune, mais il a cru un autre avertissement... On ne nous gare pas! Je peux vous dire que c'était un excellent mécano, très sobre. Il partait en retraite 3 mois plus tard, car il avait fait un peu de supplément, car il avait des charges de famille... Alors moi, quand on m'a dit que je pouvais partir, j'ai pas attendu, j'ai dit " prépare les dossiers et je pars"... J'avais encore le panier sur l'épaule... C'est pas que je n'aimais pas ce que je faisais... Quand on est boulot on est au boulot. Mais quand on sait qu'on pourrait ne plus y être et qu'il vous arrive un pépin... Si j'avais tué 50 personnes, je crois que je n'y aurai pas survécu...

Nous vous remercions, M P... , pour ces souvenirs...

 

Interview menée par J. C. C. en 2000

 

+ De photos? Rendez vous dans l'album...

Les loco vapeur



10/01/2008
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