Le problème du rail et de la route est connu. Il n'est pas spécial à notre pays. Il se pose chez nos voisins, avec plus ou moins d'acuité, particulièrement en Grande Bretagne.
Ouvrir des routes nouvelles (des autoroutes) à travers tout le pays pour tenter de le résoudre ne peut qu'exiger beaucoup de temps et coûter incroyablement cher.
Alors comment en sortir? S'est dit un ingénieur britannique, M T I Lloyd. Et il propose une solution révolutionnaire: convertir les chemins de fer en routes réservées au trafic automobile rapide.
ROUTE CONTRE RAIL
Bien sûr, une telle conversion a de quoi faire reculer, quand on songe qu'elle affecterait le gagne pain de 365 000 cheminots qui travaillent sur les quelques 40 000 kilomètres de nos "chemins" de fer. Et il est tout à fait évident qu'elle ne pourrait être envisagée que sous la pression d'un nécessité vitale pour le pays.
Cependant, on peut on peut remarquer que si le rail avait tué la route, la route prend sa revanche. Et déjà, 1 français sur 10 vit des activité routières.
S'ils étaient abandonés, les chemins de fer pourraient être reconvertis en route admirables qui apporteraient aux transports routiers de nouvelles possibilités de rendement et sur lesquelles le trafic ferroviaire antérieur (avec les plus amples perspectives de développement) pourraient très aisément s'écouler.
Fariboles! grognera encore notre lecteur.
AUTOCARS ET CAMIONS CONTRE WAGONS
Pas tant que ça. Evidemment on est impressionnés quand la S.N.C.F. qu'elle atteint les 30 milliards de voyageurs kilomètres dans l'année (520 millions de voyageurs à 60 kilomètres de parcours, en moyenne). Mais mon lecteur sera, peut être étonné si on lui dit qu'il ne faudrait guère plus de 600 autocars de 60 places à 90 km à l'heure pour faire la même chose en 365 jours.
De même pour le trafic marchandises: les 50 milliards de tonnes kilomètres du chemin de fer n'exigeraient qu'environ 3000 camions de 20 tonnes.
Pffuitt! fera mon lecteur à qui l'on n'en compte pas. Ce ne sont là que des chiffres théoriques. Dans la pratique, pour faire le travail du chemin de fer il faudrait les multiplier par un coefficient considérable, tenant compte des aléas normaux des transports: fluctuation du trafic, chargements incomplets, roulage à vide, heures creuses, indisponibilité, etc...
D'accord. Cepandanton peut se faire une idée de ce coefficient pour le trafic voyageurs en se référant aux statistiques de la R.A.T.P.. 2775 autobus de 65 places en moyenne, ont pu transporter 869 millions de voyageurs dans l'année. A leur vitesse moyenne de 15 à 18 kilomètres à l'heure, on peut estimer qu'un nombre théorique de 500 autobus auraient pu suffire. Ce qui revient à dire qu'il en a fallu 5 fois plus et demi dans la pratique.
Admettons même que, pour avoir une large marge, on accepte un coefficient de sécurité de 10. On arriverait ainsi à un parc de 6000 autocars et 30 000 camions. Alors que la S.N.C.F. aligne environ 20 000 wagons de voyageurs et 387 000 wagons pour les marchandises, sans parler des locomotives. Et le poids du matériel roulant diminuerait dans la proportions de 30 à 1.
ECONOMIES FABULEUSES
Ce ne serait pas la seule économie. Les camions peuvent partir aussitôt chargés sans "triage". Ils peuvent pratiquement faire du porte à porte, sans transbordement. Le temps de transport s'en trouve donc réduit considérablement et le volume total des marchandises en transit aussi. Or, cette réduction du temps de transit pour les marchandises et les voyageurs est le plus grand bienfait que puisse souhaiter un pays moderne.
Et la conversion des voies ferroviaires en routes automobiles pourrait être rapidement menée aux moindres frais; fournissant un réseau particulièrement serré là où on en à justement, le plus besoin: dans les régions urbaines et de population dense. La plus grande partie de ces chemins de fer n'est qu'à double voie, dira t'on. C'est vrai, mais leur largeur est toujours au minimum de 8 mètres, ce que beaucoup de routes nationales n'atteignent pas. Il y aurait naturellement 40 000 kilomètres de routes nouvelles à entretenir, en plus des 631 000 kilomètres déjà existants, dont 80 000 kilomètres de routes nationales. mais il n'ay aurait plus à entretenir 40 000 kilomètres de voies ferrées. Et l'on comprend aisément que l'entretien d'une route coûte beaucoup moins cher (à peine le quart) que celui d'une voie ferrée.
UNE CAUSE A ENTENDRE
Bon! rétorquera t'on encore, mais vos routes nouvelles ne risqueraient elles pas d'être encombrées, elles aussi par tout ce trafic remplaçant les chemins de fer? On pourrait répondre en demandant si 6 000 autocars et 30 000 camions à 10% d'utilisation se verraient beaucoup sur 40 000 de routes spécialisées (0.09 véhicule au kilomètre). Présentement, plus de 4 500 000 véhicules automobiles circulent (plus ou moins bien) sur les 631 000 kilomètres de routes existantes (7 véhicules au kilomètre, soit 80 fois plus).
Certes, je n'ignore pas qu'on peut trouver d'autres objections. La première en ce qui concerne la sécurité des chemins de fer, quasi impossible à égaler puisque les compagnies d'assurances la calculent pour les accidents mortels à 0.9999996 risque, inférieur à celui d'être assassiné! Et aussi que M Lloyd raisonne surtout pour la Grande Bretagne qui, avec ses 244 693 km2 pour 51 millions d'habitants, soit 213 habitants au km2, se trouve dans une situation beaucoup moins confortable que la France avec 551 694 km2 pour 44 millions d'habitants, soit 78 au km2.
Mais qu'on le veuille ou non, la congestion de notre réseau routier ne peut, malgré tout ce qu'on fera pour mitiger la concurrence de la route et du rail, que tendre à s'aggraver. Et on ne pourra pas indéfiniment y pallier par des demi mesures.
G H GALLET
LE PROVENçAL 8/12/1957.