AUX CHEMINS DE FER, L'HEURE C'EST L'HEURE..
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L'HEURE C'EST L'HEURE!
AVANT L'HEURE C'EST PAS L'HEURE...
APRES L'HEURE C'EST PLUS L'HEURE...
C'est bien connu, "faire l'heure" est la hantise du mécanicien. Le respect des horaires a toujours été la pierre angulaire du chemin de fer. C'est ainsi que tout au long des réseaux, dans les gares, dans la poche de chacun des hommes du rail, se trouvait et se trouve encore, une horloge, une pendule, un "régulateur". Mais ce qui nous semble aujourd'hui simple et pratique ne l'a pas toujours été, pour les voyageurs du siècle dernier. Voyons d'un peu plus près comment cela se passait... Indicateur horaire pour le service d'été 1912... Noter en haut à droite de la page la correspondance entre les anciens et nouveaux horaires en vigueur depuis 1911. Certains Bâtiments Voyageurs un peu "cossus", comme celui d'Apt, Cavaillon ou Carpentras sont pourvus à la construction, d'une horloge monumentale placée sur le fronton coté cour. La présence de celle ci nous conduit à quelques précisions supplémentaires sur la gestion des horaires. A l'époque de la création des premières compagnies, il n'existe pas encore d'heure "légale" en France. Il faut attendre pour cela la loi du 14 mars 1891, instituant comme heure légale en France et en Algérie, l'heure moyenne de Paris. Dans un premier temps donc, les horaires de circulation des trains s'inscrivent sur l'heure de la principale ville desservie. Ceci n'apporte pas de graves inconvénients dans la gestion des circulations ferroviaires car les tronçons sont dispersés et sans liens communs. Mais lorsque les lignes commencent à fusionner et former un véritable réseau, le problème de l'horaire devient crucial. Tel est le cas du P.L.M. Paris-Lyon-Marseille) pour qui, bien en avance sur son temps, la marche des trains est réglée sur le méridien de Paris. Notons, toutefois, un certain nombre de réclamations adressées par les premiers voyageurs d'Avignon en 1849... L'horloge de la gare, est réglée sur l'heure de la gare principale de la ligne, c'est à dire... Marseille.
Avignon centre... dans les années 60 et aujourd'hui.
L 'heure de Marseille est en avance d'un quart d'heure sur celle d'Avignon. Aussi, les voyageurs avignonnais, parviennent ils régulièrement en retard à l'embarquement, principalement s'ils ont des bagages à enregistrer (les bagages doivent être enregistrés 15 minutes au plus tard avant le départ du train). Quant à la Cie., lorsqu'on lui reproche cette situation, elle propose, ni plus ni moins, pour régler le problème... que toutes les horloges publiques d'Avignon soient mises en correspondance avec celle... de la gare... Donc de Marseille!
On peut noter, en passant, que ce sera l'horloge de la gare du P.L.M. qui règlera la marche des tramways électriques d'Avignon...
Pour longtemps encore, l'horloge de "24 heures" n'est pas connue. Les horaires sont donc découpés en heures du "matin" et heures de "l'après midi" (du soir)... Comme cela se pratique encore dans les pays Anglo-Saxons (AM-PM).
Les horloges côté cour des voyageurs à Carpentras et Cavaillon. Il faut attendre la circulaire ministérielle du 31 décembre 1911 pour que les journées soient décomptées sur 24 heures et le service d'été 1912, pour que les horaires des chemins de fer le soient également. Pour autant les choses ne sont pas aussi simples... Les gares possèdent en effet des horloges, comme nous venons de le voir, sur les façades ou dans les salles de départ, mais aussi sur les quais. Ce sont lesdites horloges (celles des quais) qui régissent précisément la circulation des convois.
Afin de prémunir les voyageurs (qui arrivent en gare) contre des retards involontaires, les horloges de quais sont retardées (et donc les régulateurs de mécaniciens) de 5 minutes par rapport à celles extérieures, qui elles, sont réglées sur l'heure légale. Ainsi donc, les circulations se font sur la base d'un retard de 5 minutes par rapport à l'heure moyenne de Paris!... Je ne saurais affirmer si, aujourd'hui encore, cette pratique perdure...
Temps de parcours de Paris à Marseille:
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En attendant et pendant des décennies, des horlogers de la compagnies, parcourent régulièrement toutes les lignes pour remonter et entretenir toutes les pendules, horloges et autres montres qui se trouvent dans toutes les gares, haltes, stations, dépôts, ateliers, postes d'aiguillage, etc. et vérifier la concordance des informations... Ce n'est que bien plus tard que des systèmes électriques permettront une mise à l'heure automatique et à distance. On peut imaginer ce qu'un défaut au niveau des horaires aurait pû entraîner comme risques pour les circulations. Plus encore que les voyageurs "oubliés" sur les quais, la sécurité et la régularité des trains auraient été remises en cause, les postes d'aiguillage et les passages à niveau, par exemple, ne se fiant qu'aux seuls horaires pour réaliser leur travail...
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M Chaboud, horloger à Vaison parcourait toute la ligne d'Orange au Buis avec son échelle, car il avait la charge de l'entretien et de la réparation de toutes les horloges qui équipaient les gares. Il venait remonter les horloges une fois par semaine... Perché sur un escabeau, il ouvrait la vitre frontale de l'horloge, la mettait à l'heure si nécessaire, la remontait à l'aide de la clé à bout carré, effectuait quelques réglages, graissages et nettoyages consciencieusement et méticuleusement avant de refermer la vitre et de lui donner un dernier coup de chiffon. Pour régler ses horloges, il disposait d'un temps d'arrêt en gare, confortable dans certains cas et trop bref dans d'autres, ce qui l'obligeait à attendre le train suivant, lui permettant ainsi d'aller faire un brin de causette avec les employés de la gare et les gens du village. Lorsqu'une horloge était en panne, il l'emportait dans son petit atelier situé à l'arrière de son magasin dans la grand rue à Vaison. Sans lui pas d'heure précise et la référence horaire sur la ligne était celle de l'oignon (gousset) qu'il sortait de sa poche avec la belle chaine d'argent. (extrait du livre LE PETIT TRAIN DU BUIS, Mancip, Peruch, Favier, Ed de L'Ormet 1992).
LA GESTION DU "TEMPS"... CLE DE VOUTE DES CHEMINS DE FER...
Au delà de la simple anecdote des horaires de gares, n'oublions pas que l'heure est à la base même de toute l'organisation méticuleuse et quasi militaire des chemins de fer. Chaque cheminot, chaque locomotive, chaque wagon, chaque train et géré par des systèmes complexes de "roulements". La sécurité est elle même basée en grande partie sur le respect des horaires (bien avant que n'apparaissent les système de sécurité visuels ou mécaniques, c'est par le suivi des horaires qu'était assurée la sécurité des circulations). Des milliers de cheminots travaillent en permanence à l'élaboration et à la gestion des roulements, graphiques, fiches train, horaires. Chaque circulation est rigoureusement suivie par des "contrôleurs" (régulateurs ou dispatchers) tout au long de son parcours suivant des graphiques pré-établis. La gestion du temps est bel et bien la clé de voûte de toute l'organisation ferroviaire (avec toutefois en priorité absolue, la sécurité!). Alors pour chaque agent, il faut tendre à...
FAIRE L'HEURE A TOUT PRIX... MAIS EN TOUTE SECURITE
Alors voyons ici quelques anecdotes et belles marches...
Roulement des machines du dépôt d'Avignon, roulement du personnel de la gare de Sorgues, fiches trains et partie d'un graphique entre Valence et Tarascon.
20 mai 1952, sous la verrière de la gare de Lyon Perrache, la 231 G 177 en tête du train 552 attend le départ pour Avignon. L'équipe Dubost-Klie d'Avignon s'affaire dans la cabine. Les derniers passagers embarquent. L'heure du départ approche. Le mécanicien, régulateur en main, se penche au dehors pour apercevoir le geste du chef de gare. Mais rien ne se produit. Le signal de sortie reste fermé. Quelques passagers profitent de ce petit surplus de temps pour bavarder encore un peu, penchés aux fenêtres, avec leurs accompagnateurs. Dans la machine la tension monte. Les soupapes "chantent", l'équipe s'impatiente. Trois, cinq, sept, dix, treize minutes de retard sur l'horaire!! Pour les passagers ceci ne sera pas très important. La S.N.C.F. met un point d'honneur à faire arriver ses trains à l'heure! Les deux "gueules noires" en connaissent déjà le prix à payer en sueur. Enfin libérée la machine enlève la rame du quai. Les mouchoirs et les bras s'agitent encore un peu aux fenêtres des voitures. Le convoi cahote sur les aiguilles, puis franchit le pont sur le Rhône; la gare de la Guillotière et commence enfin à s'élancer. Pour l'équipe de conduite l'interminable travail vient de commencer. Pas de chance. Non seulement le train est déjà en retard mais il est cette fois lesté d'une surcharge de 199 T. Masse totale du convoi 749 Tonnes et 13 minutes à rattraper! Le mécanicien ouvre le régulateur, alors que le chauffeur s'active au feu, le corps déjà couvert de sueur. La Pacific donne sa pleine puissance. Feyzin, Châsse sur Rhône, le paysage défile. Mais à Vienne un T.I.V. (Tableau Indicateur de Vitesse) ralentit le convoi pour des travaux sur voie. On peste sous l'abri! Ce ralentissement va "coûter" au moins 3 minutes supplémentaires! Puis le train reprend sa course contre la montre. Hommes et machine travaillent de concert pour "grignoter" peu à peu, seconde par seconde, les minutes perdues... Alors que les passagers ignorant la peine des hommes de la machine lisent ou regardent défiler le paysage. Arrêt à Valence, puis reprise de la traction. Le foyer est aveuglant. La chaudière "au timbre", le chauffeur alterne pelle et ringard. Montélimar, Orange, Sorgues, puis enfin Avignon. Malgré une conjonction de mauvaises circonstances, le convoi s'arrête à quai avec à peine 4 minutes de retard sur l'horaire! La machine est dételée. L'équipage peut rentrer au dépôt, fier de la tâche accomplie, qui finalement est presque un exploit journalier...
Une autre "belle marche" est effectuée par l'équipe Haffner-Guéraud de Marseille Blancarde, sur la 241 P 12. Dans la nuit du 3 au 4 février 1954, le train 55 (15 véhicules 673 T) quitte Paris gare de Lyon, par un froid sibérien avec 66 minutes de retard! Jusqu'à Lyon Perrache, la traction électrique permet de ramener ce retard à 20 minutes. Puis les tractionnaires "vapeur" prennent le relais. Finalement le convoi entre en gare d'Avignon à l'heure normale. Mais l'équipage n'en termine pas pour autant son ouvrage et conduit le train à son terminus de Marseille...
Un bel acte d'organisation et conscience professionnelle est réalisé le 19 octobre en gare d'Avignon. Quelques heures avant son entrée en gare d'Avignon, le train 1 "MISTRAL" prend le départ en gare de Lyon Perrache. En tête la 241 P 20 (équipe Biscarrat-Bruyère). Quelques centaines de mètres plus loin, une conduite de vapeur se rompt entre locomotive et tender. Elle est définitivement hors d'usage. Cette conduite sert à alimenter le moteur du stocker qui, de fait, s'arrête tout net. Après examen de l'avarie l'équipe de conduite décide, pour ne pas retarder le train, de continuer sa route. Il faudra assurer la chauffe de façon manuelle. C'est une manœuvre particulièrement difficile et surtout très "physique" eu égard à la voracité de l'engin. Le train poursuit ainsi sa route jusqu'à Valence. L'équipe y fait prévenir le dépôt d'Avignon de sa situation. Puis le convoi repart. Alors qu'une course contre la montre s'engage dans la cité papale. Le visiteur Chambon prend l'affaire en main au dépôt. Il fait démonter une conduite sur une machine en cours de réparation. Equipé de l'outillage nécessaire il se rend en gare attendre le MISTRAL. Il est suivi toutefois d'une machine de réserve, "au cas où". Lorsque le rapide entre en gare, à l'heure, la conduite avariée est remplacée en deux minutes et demi! le MISTRAL peut poursuivre son voyage sans même avoir accusé le moindre retard et sans même que les voyageurs aient pu s'apercevoir de cette formidable organisation.
ATTENTION AU DEPART! exactement à l'heure!
Malheureusement aujourd'hui, la question des retards des trains, (devenus trop fréquents pour tout un tas de bonnes ou mauvaises raisons) a quitté le monde des chemins de fer pour représenter maintenant un véritable enjeu politique voire électoral...
Alors, amis visiteurs, lorsque lors d'un prochain voyage votre T.G.V. ou votre T.E.R. aura quelques minutes de retard, remémorez vous les prouesses des anciens mécanos vaporistes pour "faire l'heure", quelles que soient les conditions de route...
En gares d'Avignon, Pertuis, Montfavet et... Pernes.
Pour aller plus loin... 1 clic
QUELQUES HORAIRES...
Autres pages.
Autres sites et documents.
- Revue Général des Chemins de fer n°9 1993 (conception des horaires).
- Napoléon Chaix
- Vie du Rail 872
- Les indicateurs Chaix.
- Les horloges de gares Garnier.
- L' horloge de la gare de Lyon à Paris.
- Le Dispatching System.
- Les régulateurs de trains.
- Les graphiques de circulation.
- Les horaires TER PACA.
- Avignon; Des retards de 30 mn à 3 H.
- La SNCF et le temps.
- TER PACA le plan SNCF priori T.
- Revue Histoire des Chemins de Fer (2006).
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Les documents et photos (sauf mention particulière) illustrant cet article sont issus de la collection de l'auteur (photos JL Bézet, Gérent, Marion, SNCF)...
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