MONSIEUR F. P. MECANICIEN DE ROUTE ...
Monsieur F. P.,
Mécanicien de Route...
UNE JOURNEE Très PARTICULIERE...
M Fernand P., fondateur du musée du cheminot à Ambérieu en Bugey, nous raconte quelques anecdotes au sujet de la courte période de sa carrière qu'il a passée dans le Vaucluse et les Bouches du Rhône. C'est toujours, un passionné de chemin de fer, et qui a passé sa vie professionnelle au dépôt d'Ambérieu, comme mécanicien. Il a, par la suite fondé le musée, où sont entreposés de nombreux éléments représentatifs du chemin de fer et de la traction vapeur en particulier.
L'action se déroule essentiellement, sur deux mois passés en Provence, en 1943 et 1944. En cette époque de guerre, M P., jeune chauffeur de 18 ans, avait été envoyé en renfort dans les dépôts de La Blancarde et Avignon.
"En 1943, j'étais jeune chauffeur, j'avais 18 ans et j'ai été envoyé en renfort au dépôt de Marseille la Blancarde durant quelques semaines. J'ai alors été intégré avec un mécanicien titulaire, dans une double équipe. Les parcours habituels étaient des tournées sur Nice pour des T.C.O. (trains de troupes d'occupation). Les temps de parcours étant très longs et surtout très aléatoires. La double équipe consistait à réunir sur la même machine deux équipes de conduite et à adjoindre au convoi une voiture dortoir. Chaque équipe prenait, à tour de rôle toutes les deux heures, la conduite du train. En cinq voyages que j'ai effectués, un seul nous a conduit à bon port, à Nice, mais après cinq jours de voyage!!! Les déplacements étaient graphiqués pour un départ vers 18 heures mais, la plupart du temps, le départ effectif n'était donné que vers 6 ou 7 heures du matin... suivant. En attendant... nous dormions. Le départ donné il n'était pas rare d'être arrêtés quelques kilomètres seulement plus loin.
Lors du voyage qui avait duré 5 jours, nous avons été arrêtés dés la gare de La Pomme, puis de nombreuses fois en rase campagne. Le ravitaillement posait problème, que ce soit celui de la machine ou celui des hommes. Pour la machine nous "faisions de l'eau" dans les gares et quelquefois lors du passage dans des annexes traction nous prenions huile et charbon. Il nous est arrivé, une fois, d'être bloqués dans un triage à cote d'un train de... charbon. Nous avons alors profite de l'aubaine et pelleté tous les quatre de la houille dans le tender. Pour la "gamelle" des hommes c'était plutôt la "débrouille". Quand nous étions en campagne les jardins avoisinants amélioraient l'ordinaire, et dans les villages, nous arrivions toujours à acheter quelque chose, malgré le rationnement et malgré que nous n'ayons pas toujours des tickets. Comme j'étais le plus jeune de l'équipe c'était moi que l'on envoyait faire "le marché". Quelquefois c'est sur le train que nous allions au "ravitaillement". Quand nous apercevions la fumée des roulantes allemandes, le mécanicien m'envoyait avec les quatre gamelles à la main. Jamais nous ne nous sommes vus refuser de la nourriture. En général je revenais avec une miche deux gamelles de soupe et deux de café. Pour le logement il fallait être organisé. Mon mécano devait être bien "introduit" car à chaque fois, il arrivait à nous trouver un fourgon confortable, équipé de couvertures neuves et de l'éclairage... électrique. J'avais démonté sur une locomotive de banlieue la douille et le fil d'un phare. Ceci nous servait de baladeuse. Nous le raccordions sur le fourgon et cela nous éclairait sous l'abri de la machine. Bien plus pratique que la lanterne habituelle que le MISTRAL mouchait régulièrement. Comme à cette époque les abris des locomotives étaient recouverts de bâches cache lueurs il valait mieux être correctement éclairé.
En janvier 1944, c'est à Avignon que j'ai été affecté pour quelques jours. L'aventure commence par une arrivée en gare, par une nuit d'hiver. Je me suis retrouvé seul dans une ville totalement étrangère et de surcroît toute noire. Le black-out imposait, bien sûr, de ne rien laisser allumé. J'ai du me rendre au dépôt en longeant les voies depuis la gare. L'obscurité associée aux commandes funiculaires des signaux ont fait de cette longue marche un parcours du combattant ponctué de nombreuses chutes. Je suis enfin arrivé à bon port pour me voir finalement renvoyé... place de l'horloge où l'on m'avait réservé une chambre. J'étais logé à l'hôtel "de luxe". Un hôtel dont mes souvenirs me laissent comme luxueux que l'appellation. Tel a été mon premier contact avec Avignon.
Par la suite j'ai été affecté avec un jeune mécano, nouveau promu et nous avons réalisé, ensemble diverses courses sur Marseille ou Le Teil. C'est ainsi que j'ai fait connaissance avec les magnifiques "PACIFIC". Mon séjour s'est déroulé sans trop de difficultés mais l'un des derniers voyages que j'ai effectué sur la région à vraiment été une journée très particulière.
Je chauffais sur une vieille 230....
C'était une tournée de "PATACHON" entre Avignon et l'Isle / Sorgue, via Gadagne. Je chauffais sur une vieille 230. Dés le départ les difficultés sont apparues. Les boyaux de frein ont éclaté les uns après les autres. Après toutes ces années de guerre le matériel était à bout de souffle. Nous avons subi sept éclatements. Nous avons du récupérer les boyaux d'extrémité, puis ceux du fourgon et ainsi de suite. Nous avons ainsi isolé deux wagons. La dernière avarie s'est produite à la sortie du tunnel. Nous laissions des wagons dans chaque gare et à chaque fois le mécanicien, un vieux de la vieille, cette fois quittait sa machine et me laissait le soin de réaliser les manoeuvres. C'est ainsi que j'ai déraillé un petit tombereau à essieux... Il fallait le laisser sur une voie de garage. Cette voie étant vide nous avons convenu avec le chef de train de l'y pousser "au lancer". Je lance donc ma machine, pousse le wagon, donne du frein et laisse partir... Quelques mètres seulement plus loin le wagon s'arrête les boites d'essieux certainement dans un état d'usure avancée... toujours la guerre. Alors on recommence la manoeuvre. N'ayant pas la machine très en main c'est un peu violemment que j'accoste le wagon. Il vibre sous le choc, se soulève... sort des rails et tombe dans l'entrevoie engageant le gabarit. Il faut alors sortir le cric des coffres à outils pour soulever le wagon et dégager la voie. Mais voilà que l'on nous avertit depuis la gare de l'arrivée d'un "RAPACE"* qu'il est déjà trop tard pour arrêter. C'est alors une course contre la montre qui s'engage, luttant de toutes nos forces pour déloger le wagon de sa fâcheuse posture, au mépris total du danger. Le wagon est basculé du talus, au moment même où le rapide nous croise! Il était temps. Tous sera remis en place et personne n'en saura rien... Plus tard, c'est à l'Isle / Sorgue que ma carrière de cheminot , qui ne faisait que commencer, a failli prendre fin prématurément. Cette vieille 230 était, curieusement, équipée d'un plate forme entre tablier de la machine et du tender, solidaire du tender. Ceci à l'inverse des usages. Ainsi donc, lors des mouvements de la machine, cette plate forme glissait sur le tablier de la machine. Lors des manoeuvres sur les voies de garage, aux rayons très serrés, j'ai tout à coup ressenti "du froid" sous mon pied droit. La plate forme, venait de glisser entre ma semelle et mon pied, tranchant net ma galoche. A quelques millimètres prés j'aurai pu y perdre le pied. Me voila donc condamné à finir ma journée avec une chaussure sans semelle, le pied à même le métal. A l'arrivée, c'est sur un tas de mâchefers brûlants que j'ai failli mettre le pied... Une journée qui compte dans la vie d'un homme, que l'on oublie jamais et que l'on ne regrette pas. Qui n'a pas vécu cela n'a rien vécu. Cela pourrait convenir pour un scénario de film.
Enfin je suis rentré sur Ambérieu la tête pleine de souvenirs, malgré les propositions de poste sur place et la fascination pour les magnifiques PACIFIC. Mais "le pays" m'appelait. Peut être est ce une erreur? Peut être un bon choix? Qui peut savoir? Le dépôt d'Avignon ayant subi de sévères bombardements quelques mois plus tard, qui peut dire quel aurait été mon destin?
Les voyages, nous l'avons vu, étaient très longs et très aléatoires. Je me souviens d'un jour où nous étions restés bloqués sur une section équipée du block automatique. Le train était arrêté sur un PN et nous sommes restés là très longtemps. Une colonne allemande, arrivant par la route, s'est donc trouvée bloquée par notre convoi... un train de troupes... allemandes. Après presque une heure d'attente, les officiers de la colonne nous ont donné ordre de dégager le passage. Or en "block automatique" il est formellement interdit de reculer. L'officier commandant le train et celui commandant la colonne se sont alors accrochés. L'histoire a bien failli se terminer en bataille rangée entre allemands, sous le regard des cheminots. Les tourelles étaient déjà tournées face à face.
Avignon 1944.... Les installations des rotondes, les ateliers, les locomotives sont détruits à 80%...
Je n'ai pas eu à affronter des situations de réel danger, sauf à deux reprises. Une première fois, en me retournant pour pelleter de la houille, j'ai aperçu deux chasseurs anglais qui prenaient le train en enfilade. Ils étaient à basse altitude et ... sont partis sans ouvrir le feu. Une seconde fois, alors que nous traversions Agay, une escadrille y opérait un bombardement. Nous avons pu passer, quasi miraculeusement, sans être touchés. Au retour, traversant au pas, sur des voies provisoires un paysage bouleversé, nous avons découvert un spectacle insupportable. Les arbres arrachés, les maisons rasées... Le village avait pratiquement disparu sous la violence du bombardement.
Propos recueillis par J.L. BEZET en 1995 En voir ou en savoir +... 1 clic! Autres pages:
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