Monsieur J G FILS DE GARDE-BARRIERE
Monsieur J. G., Fils de... GARDE BARRIERE...
- M J G est fils de cheminots. Il a vécu toute son enfance dans des maisonnettes de P.N.. Il fait part de ses souvenirs à M J-C. C.
Je suis né en 1948 à Die. Maman était garde barrières et papa travaillait su service de la voie. J'ai passé ma jeunesse dans les P.N.. Je me souviens encore des locomotives au charbon et à l'eau.
On pouvait avoir un peu de charbon par les mécaniciens qui nous envoyaient quelques morceaux au passage... Je me souviens, nous courions le long des voies avec un panier, quand le train était passé... C'était une époque formidable pour des enfants..
Nous sommes restés à Die jusqu'en 1960. Puis papa à eu de la promotion. Il a choisi de venir à Carpentras. On a repris le P.N. 20, du marché gare. C'était sur une toute petite route et le P.N. avait des barrières en bois! Il n'y avait que quelques passages par jour. J'ai connu des dérives, vous savez, quand des wagons roulent tout seuls. C'est arrivé réellement! Il y avait souvent des alertes et maman devait partir en courant pour fermer les barrières et pour poser des pétards. Et puis un jour c'est arrivé en vrai.
Une rame était partie de Carpentras. Le temps que nous entendions le bruit, il était trop tard, c'était passé
... avec les barrières ouvertes! Maman a sonné la dérive. C'était des coups de cloche répétés pour avertir les autres P.N.. C'était pour elle une hantise de savoir qu'un train était passé à son P.N. avec les barrières ouvertes. C'était, d'ailleurs la hantise de tous les gardes-barrières. A Ste Croix, c'était sur la grande ligne, avec des voyageurs. Là les barrières étaient toujours fermées et on ne les ouvraient qu'à la demande des automobilistes. A Carpentras, c'était l'inverse, elles étaient toujours ouvertes et on les fermait à l'arrivée des trains suivant l'horaire. On a connu les barrières de bois, puis les barrières mécaniques. On avait une manivelle pour fermer. C'était d'ailleurs assez difficile. Nous les enfants on n'y arrivait pas joujours...
Ma femme a connu ça... la vie aux P.N... Il fallait parfois partir en courant pour fermer et puis des fois les gens s'impatientaient, mais on ne pouvait pas ouvrir tant que le train n'était pas passé. Des fois il mettait plus longtemps. Il ne descendait pas toujours à la même vitesse.. C'était pas un rapide.
- Vous avez vécu dans les maisonnettes de P.N.. Ce ne devait pas toujours être facile, car ces maisons étaient très petites avec 4 pièces seulement. Et puis il n'y avait pas de sanitaires. Comment faisiez vous?
Eh bien, il est vrai que ce n'était pas bien grand. Certaines familles avaient eu le droit de faire des agrandissements. Nous autres nous n'étions que des garçons. On était tous ensembles dans la même chambre. C'était particulier, je me souviens de la pièce mansardée, des petites fenêtres. Mais on s'accomodait avec.
Par contre, le gros problème, qui m'avait marqué quand j'étais gosse, c'était le chauffage. Il n'y avait qu'un seul poêle à charbon. Il chauffait mal. Le soir on montait se coucher avec une bouillotte ou une grosse pierre chauffée. Je me souviens que nous arrivions à faire des dessins sur les murs de séparation des chambres, avec les doigts sur le givre! C'atait ici, au P.N. de Carpentras! Pour lreste on faisait la toilette en bas. On faisait chauffer de l'eau. pour les WC c'était dehors, une cabane en planches, comme à la campagne. Ce qui nous avait manqué le plus, partout où nous sommes allés, c'est que papa se "battait" pour avoir l'eau. A Ste Croix, l'eau était assez loin à la fontaine. On est arrivés à avoir l'eau car papa à fait de nombreuses démarches et a fait lui même l'installation. Mais quand nous avons enfin eu l'eau nous avons été mutés à Carpentras! Il n'y avait pas d'eau... il a fallu recommencer le même fourbi. C'était important d'avoir de l'eau. A Ste Croix, l'eau coulait toute seule à la fontaine, mais à Carpentras, c'était un puits. Il fallait pomper. D'ailleurs, la pompe, j'ai réussi à la récupérer... elle est ici derrière ma maison.
C'était ça le confort... Mais on était habitués.
Pour aller à l'école, on faisait 2 km à pied matin, midi et soir. Ici, c'était un peu moins loin, mais il y avait de la circulation, il fallait faire attention.
C'était ça la vie au P.N.. On se retrouvait tous les soirs avec les amis. C'était bien, aussi, la veillée. On allait les uns chez les autres. On rencontrait aussi les anciens. Ceux qui étaient partis en retraite et dont on avait repris la place. On les invitait.
Une maisonnette près de la gare de Carpentras (côté Orange). Celle-ci a reçu une extension.
- Alors, quand on est enfant de cheminots, il y a des contraintes. Pas de sorties, parents obligés de rester sur place... Comment ça se passait?
Eh bien, nous étions modestes. Nous n'avions pas la télévision. Nous ne sortions pas, mais le soir il y avait les veillées. On faisait les devoirs entre petits voisins, des fois les mamans nous occupaient aussi, nous faisaient faire des jeux. A Carpentras nous connaissions la famille B.. Ils avaient la télévision. Ils nous invitaient chez eux pour regarder la piste aux étoiles. C'était du vrai cinéma! On partait sur la route, papa, maman les 3 frères... On partait voir la piste aux étoiles...
- MMme B c'était au P.N. 19 de l'autre côté de la gare! Ca veut dire que ça faisait très loin...
Oui, mais pas plus que pour aller à l'école. C'était pas très amusant l'hiver, c'est vrai. En plein été on faisait le jardin, on jouait, du coup on était contents de rentrer se coucher. Mais l'hiver, quand la nuit arrive de bonne heure, nous ressortions pour aller voir la télévision. Mais il faisait froid. Pour l'aller il n'y avait pas de problème, car nous avions soupé et nous avions chaud. Mais pour le retour c'était moins amusant. Quand nous avions passé la soirée bien au chaud, parfois nous nous étions endormis, il n'atait pas très agréable de remettre le manteau et de ressortir au froid. Mais enfin, ça nous avait permis de regarder la télévision. Mais côté distance, c'était pas plus loin que pour aller à l'école. On avait l'habitude, ce n'était pas un problème.
- Alors la quotidien se passait au rythme du passage des trains. Qu'est ce qui se passait pour la garde barrières attitrée?
Ca dépendait des lignes. A Crest, c'était plus difficile, c'était sur la grande ligne, il y avait du trafic, des marchandises, des voyageurs... On était là en permanence. De toute façon, nous n'avions pas de moyen de locomotion. Maman avait ses horaires de passage des trains, avec des heures régulières. Quand c'était le moment elle fermait les barrières. Quelquefois les automobilistes s'impatientaient, mais elle n'ouvrait pas. Il n'y avait pas de cloches en ce temps là. Juste des cloches 3x2 coups ou 3x3 coups, pour savoir si le train venait du sens pari ou impair, mais pas de cloche d'annonce des trains.
Maman faisait donc son ménage, la vie de famille, mais elle donnait toujours la priorité aux trains. C'était là son plus gros souci, c'était sa hantise qu'il arrive quelque chose. Nous avions parfois des informations, comme quoi il y avait eu des accidents ici ou là... C'était son gros problème. Et puis il y avait les visites périodiques de l'inspecteur de Valence. Il venait voir si tout se passait bien, si les accessoires, les pétards, étaient bien en place dans leur étui. Il regardait aussi le cahier qu'il fallait signer si on se faisait remplacer. Pour aller chez le docteur ou pour une affaire de famille un peu importante, il fallait faire une demande de remplacement. Il fallait que ce soit une personne agréée. On ne pouvait pas faire garder le P.N. par n'importe qui. Souvent c'était des poseurs ou des personnes de la gare qui venaient. Maman signait le cahier avant de quitter ou de reprendre son poste.
A Carpentras, c'était différent. Il y avait moins de trafic, surtout l'hiver. En plus les circulations étaient groupées sur certaines plages horaires. Du coup, elle pouvait s'absenter dans la journée. Elle était moins tenue. Mais le souci restait permanent, qu'une circulation inhabituelle passe sur la voie. C'est ce qui est arrivé le jour où des wagons se sont "échappés" de la gare de Carpentras. Je m'en souviens, pourtant j'étais gosse. C'est le bruit qui nous a alertés. On n'a pas eu le temps d'aller fermer les 4 battants des barrières en bois! Alors nous sommes partis sur la route au devant des éventuels automobilistes.
- Finalement vous n'avez, vous même, pas fait carrière au chemin de fer. Mais cette vie dans les maisonnettes de P.N. qu'en retirez vous? Etait ce pour vous un probléme, à cause du manque de confort ou de sorties, ou, au contraire en êtes vous nostalgique?
Oui, il y a la nostalgie de l'enfance. Le confort ça ne nous manquait pas. Nous étions d'origine modeste. Peut être, le problème de l'eau... Quand nous étions enfants, il fallait parfois aller un arrosoir de 10 litres! C'était lourd! L'été c'était rigolo de se mouiller les doigts de pieds, mais l'hiver c'était moins amusant se se remplir les chaussures d'eau.. et en plus on se faisait gronder.
Sinon, c'était formidable. La camaraderie, surtout. Les mécaniciens qui nous envoyaient des briquettes et des morceaux de charbon. Ils nous faisaient des bonjours, on les remerciait. C'est des images formidables. L'esprit était différent, c'était l'époque qui voulait ça. Je me souviens aussi de militaires qui nous jetaient des biscuits secs. On les récupérait et on les économisait, car ils étaient bons. Les fameux biscuits qui gonflaient énormément quand on les trempait... C'était formidable. Le confort... Les parents nous avaient fait une jolie chambre... De toute façon ça n'est pas comparable à ce que nous connaissons maintenant. C'était une époque formidable...
Et puis pour les parents l'avantage du P.N. c'est que le loyer était très modeste. Et puis, pour maman cela faisait un petit salaire et une cotisation pour la retraite. Et puis on pouvait voyager. Vous savez, avec les tickets roses à détacher du petit carnet... On pouvait aller à Paris, où habitait mon oncle... Je me souviens, nous les enfants, nous voyagions dans les filets à bagages!
A Ste Croix, on a eu des voisins qui avaient déménagé, pour aller à Crest, à 30 ou 40 km. C'était des amis. J'avais 8 ans... Alors mon père me mettait dans le fourgon de queue des trains de marchandises, avec le conducteur de queue. Des fois c'était la micheline. Je partais ainsi à Crest, passer la journée chez mes amis. Puis le soir, ils me remettaient dans un autre train, pour le retour. Aujourd'hui, je ne pense pas qu'on laisserait des enfants de 8 à 10 ans faire ça tout seuls. Mais papa connaissait tout le monde et tout le monde nous connaissait... C'était comme une grande famille. Des fois, même, j'allais passer le week end. Je restais dormir le soir. Pourtant, nous n'avions pas le téléphone pour s'avertir, mais on ne se faisait pas de souci.
- Vous gardez donc un bon souvenir de cette vie partagée avec les cheminots. Avec le recul, quel regard portez vous sur le chemin de fer actuel?..
Je les ai cotoyés aussi pour les choses de la vie courante. A Carpentras, quand j'avais une douzaine d'années, je prenais ma bicyclette pour aller prendre ma douche en gare. Les gens de la gare on les connaissait. C'était comme une famille. Ils disaient " tiens voilà joël...". Maintenant c'est différent. On connais moins de monde. L'esprit est différent. Et puis la gare n'a plus d'activité. Je me souviens, avant, l'activité était importante. Ca rejaillissait sur la ville tout entière. Maintenant ça n'y est plus. On a l'impression de s'étouffer dans un système qui gomme tout. Si la gare retrouvait son activité, ce serait extraordinaire pour la ville. Aujourd'hui on vient à la gare uniquement pour acheter ses billets de T.G.V., ou demander un renseignement mais il n'y a plus de trains. C'est un peu pauvre. Pour autant il y a un bon accueil. Les gens sont très sympathiques. Même que certains disent "Il y a encore une gare à Carpentras?"... On se pose la question.
Moi qui ait vécu ici... Il fallait faire très attention pour traverser les voies quand je venais le dimanche matin prendre ma fameuse douche. Je repartais été, comme hiver, les cheveux mouillés... Mais j'étais content. Maintenant, c'est différent. C'est l'évolution. Le modernisme nous dévore, quelque part...
J'ai un très bon souvenir de la S.N.C.F.. Je vois encore souvent l'ancien chef de gare. On évoque en semble les souvenirs. On reparle du temps passé, quand papa travaillait au service de la voie. Les jeunes aimaient bien travailler avec lui. Il était estimé. Le samedi on savait que des fois, il allait faire ses rondes. Des fois, aussi, il m'emmenait avec lui à Sorgues pour l'échange du matériel. On partait avec de vieilles pelles et pioches usées. On allait les échanger au wagons de l'outillage qui passait à Sorgues... C'est des images de mon enfance... formidables. C'est vrai j'ai la nostalgie..
Nous vous remercions, M G., pour ces souvenirs..
Interview menée par M J-C. C. en 2000.
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