LA VIE QUOTIDIENNE AUX PASSAGES A NIVEAU
Bien avant la circulation des premiers trains, sur les chantiers de construction, il a fallu installer, à chaque croisement entre voie et routes, les plus petites soient elles, des barrières et des personnes pour les garder. Examinons quelles y étaient leurs conditions de vie et de travail... Il est à noter que l'ensemble des lignes vauclusiennes (hors OLB) comportait un nombre impressionnant de passages à niveau (109 recensés en 1881, plus de 150 au total dans le développement maximum!)...
La vie des gardes-barrière (GB) est parmi les plus difficiles au sein de la communauté cheminote. Entrons dans le quotidien de ceux qui ont, comme ils disent: "en permanence, un pied au chemin de fer, un pied en prison". Voyons les conditions "matérielles". Rangeons les PN en plusieurs catégories; ceux des lignes à très fort trafic ou secondaires à V.U., puis ceux normalement ouverts, fermés à l'approche des trains ou normalement fermés, ouverts pour les automobilistes... La vie n'y est bien évidemment, pas la même. Mais une constante pour toutes les familles, la maisonnette... La plupart des P.N. sont pourvus d'une maison où est logée la famille de la GB car, en général, c'est à une femme qu'est confiée LA barrière (car c'est le PN qui est appelé LA barrière, même si, effectivement il y a des barrières de part et d'autre de la voie). Elle est l'épouse d'un cheminot de la voie, voire la veuve d'un cheminot. Cette affectation permet un petit revenu supplémentaire et un logement à loyer "très" modéré. Mais s'il est modéré, le confort des lieux est réduit à sa plus simple expression. Les maisons suivent un même "standard". Elle comportent 4 pièces, ne sont pas équipées de sanitaires (pour la toilette, on se débrouille à la cuisine!), ni d'eau courante. L'électricité arrivera tardivement (certaines sont dépourvues d'eau et de courant jusqu'à la fin des années 60!). Les pièces sont exigües et seul un petit poêle à charbon assure le chauffage de l'ensemble. Pour l'eau, il faut aller au puits ou à la pompe extérieure, quand ce n'est pas à la gare la plus proche! Parfois, au fil du temps et souvent à l'initiative du locataire, quelques appentis sont ajoutés. Ces maisons "jouets", comme les gares, possèdent un jardinet. La famille y améliore l'ordinaire par quelques légumes, en élevant poules et lapins... Ajoutons à cela, pour certains, l'isolement. Si beaucoup de P.N. sont près de gares bon nombre sont en rase campagne. Les occupants y sont loin de tout: l'école, les commerces, les soins. Les longues soirées d'hiver se passent dans la solitude. Pensons aussi aux nuisances (sonores... cloches, passage de trains) et le danger des trains et autos pour les enfants.
Le quotidien est immuable semaines, dimanches et jours ferriés compris. La Gardeinne prend son service à une heure donnée, par signature du registre du P.N.. Pour les lignes principales, le gardiennage devant être permanent, la prise de service est faite par "roulement", sinon la prise de service se fait peu avant l'heure d'ouverture de la ligne. La prise de service est, en même temps, celle de la responsabilité totale. Tout incident ou accident survenu par manque de vigilence, est sanctionné par une peine pouvant aller jusqu'à la prison! Et il n'est pas toujours facile pour la GB de résister à la "pression" des automobilistes, pas plus qu'aux piétons qui, par imprudence ou inconscience, mettent leur vie en danger en franchissant le portillon.
Et cela existe depuis l'origine des Chemins de Fer.
Qu'ils soient aux commandes d'un chariot, d'une charrette, d'une jardinière, d'une automobile ou d'un poids lourd, les utilisateurs de la route voient toujours d'un mauvais oeil leur chemin barré, souvent pour de longues minutes, par le chemin de fer. Sans parler des conducteurs de troupeaux! Et quand tout semble vouloir bien se passer, il n'est pas exceptionnel que le cheval ou la mule, une fois engagés sur le P.N. refuse d'avancer, que les roues de la charrette se bloquent dans les ornières des voies, ou que les modernes poids lourds arrachassent les barrières ou se trouvent bloqués sur la voie! C'est alors la course contre la montre. Les réflexes des gardes-barrières doivent "jouer à fond". Il faut à la fois dégager le véhicule et assurer la sécurité des convois ferroviaires; mettre en place drapeaux et torches rouges, pétards... Si les conditions météorologiques s'en mêlent, la neige envahit route et voie, brouillard ou pluie sont denses et limitent la visibilité, c'est à la GB qu'il revient de dégager et d'éclairer le P.N. et de redoubler d'attention. Il n'existe jamais de routine aux P.N.!
Une ancienne maisonnette de PN à Violès.
Les grandes lignes sont encore plus difficiles. Les circulations fer s'y succèdent parfois à quelques minutes d'intervalle. Dès l'annonce, la GB doit tout quitter, casserolle sur le feu, bébé dans le berceau, pour courrir fermer les vantaux. Attention, "fermer" et non "baisser" car, pendant des décennies, les barrières sont roulantes ou pivotantes. Dans les années 30 seulement, apparaîssent les premières barrières oscillantes, commandées par treuil. Jusque là, la gardienne devait aller successivement d'un côté à l'autre de la voie pour fermer le P.N., puis inversement pour le libérer. Inutile de préciser que cet exercice pouvait être extrêmement dangereux, durant la nuit ou en cas de neige ou verglas...
Sur les lignes à faible circulation, le passage des trains est programmé à l'avance (des circulations spéciales peuvent être intercalées, voire des dérives, qui obligent la gardienne à rester sur le qui vive). Les gares d'origine signalent aux P.N. de la ligne le départ des convois par quelques coups de "Léopolder". Connaissant le temps nécessaire au train pour arriver jusqu'à elles, les gardiennes peuvent alors "préparer" la fermeture. Mais que le train soit plus ou moins rapide et les automobilistes sont mis en danger ou se montrent impatients! Puis voici la cessation de service, par la relève, par la fermeture de la ligne (un train avec une lanterne verte sur le dernier wagon). Entre les deux, il est interdit de quitter le PN, même une minute. Si elle a obligation de s'absenter, la GB ne peut le faire qu'avec accord du chef de district et remplacée par une personne "habilitée".
La halte du Petit Palais...
Un jour, le métier se termine. L'heure de la retraite sonne ou bien le P.N. est supprimé. Malgré la pénibilité du métier, c'est avec un pincement au coeur. Pour certains, il reste la possibilité de rester vivre dans la maisonnette. Pour d'autres c'est le départ obligatoire.
C'en est fini de cette vie de labeur mais aussi d'amitié, d'entraide, de solidarité, de veillées entre amis... dans un microcosme où la plupart des acteurs de cette grande "famille" se connaissaient bien.
Quelques "temps forts" aux PN en Vaucluse...
Le 27/07/1854 à Sorgues, M. Soumille arrive au P.N.427 (Rte de Vedène) sur une charrette, avec épouse et enfant. Les barrières sont fermées. Un train doit arriver. Lorsqu'il survient, le cheval effrayé, se met à ruer et courir en tous sens. L'attelage est précipité dans un fossé de 2 mètres. Seul M. Soumille est blessé légèrement, les autres sont indemnes.
En 1875, le P.L.M., propose de supprimer la garde du PN 4 "Palerme" à Entraigues et de la remplacer par un système commandé depuis la gare. "Proposition" réalisée malgré les protestations. Mais, en 1881, on réclame le retour de la GB. Deux incidents s'y sont produit. En 1877, M Gadet d'Althen, s'est trouvé coincé par la fermeture du PN. Grâce à la sonnette il a pu se faire rouvrir à temps et sortir de sa fâcheuse position. En 1878, Melle Nalin s'engage sur le PN alors que les barrières se ferment... entre cheval et charrette. Elle n'est dégagée qu'avec l'aide du gendarme Jean, de MM Villon et Ladet, présents sur les lieux... Pour autant, la Cie. refuse, mettant en avant l'imprudence des usagers.
En 1881, Mme Chapus trouve la mort au P.N. 411 (Mondragon). La commune en profite pour relancer sa demande de construction d'un passage inférieur. La Cie. refuse...
M Ginoux, sexagénaire imprudent, est tué en 1889, par un train au PN du Pontet. Malgré les tentatives du garde Forges il avait franchi le portillon du P.N. fermé... Le train arrivant à pleine vitesse ne lui a laissé aucune chance.
Le 28/07/1929, un accident se produit au Pontet. 3 personnes sont tuées dans cette tragédie! De nombreuses communes protestent. On ne supporte plus les embouteillages permanents et surtout l'insécurité de ce P.N..
Le 21/01/1951 on déplore le décès des 4 occupants d'une 4CV, broyée au PN du Thor. Il semblerait que la sonnerie n'ait pas retenti (On déplore en 1956, d'autres incidents au même endroit. Rien n'a été fait pour la sécurité de ce PN).
Quelques jours plus tard, une catastrophe est évitée de justesse au Pontet. Un car scolaire avec 50 enfants échappe à la collision avec un train. Cet incident relance la polémique sur ce PN très dangereux. La S.N.C.F. n'a pas les moyens de construire un pont et se limite à renforcer les systèmes de sécurité. Pourtant, le 8 avril, un accident s'y reproduit. Une automobiliste défonce les barrières. Elle s'en tire avec quelques blessures légères.
En 1952 sur un PN entre Pernes et Velleron, une camionnette est broyée par un train et ses 2 occupants tués, alors qu'ils traversaient les voies. La responsabilité du conducteur ne peut être retenue car cette ligne est désaffectée et les équipements de sécurité déposés. Il s'avère que la S.N.C.F. fait pourtant circuler, épisodiquement, des trains.
Le 22 juillet, à Avignon, sur la ligne de Cavaillon, M Icard engage sa camionnette sur le PN ouvert... Un train de marchandises survient, écrase le véhicule... mais épargne, miraculeusement, son conducteur.
Le 18/6/1957, événement quasi miraculeux à Sorgues! Il est 4 H du matin, M Geoffroy se présente au PN "Bécassiéres", sur sa moto. Il rentre chez lui après son travail. La barrière est abaissée (PN normalement fermé). N'ayant pas entendu la cloche, il descend de sa moto, ouvre le portillon et s'engage... Un train express surgit... Il lui arrache la moto des mains et le projette violemment sur le talus. Miracle! Il s'y retrouve choqué mais indemne, alors que son engin a été "pulvérisé".
Le 6/02/63, un septuagénaire est tué à Mornas. Il rentrait de la chasse et avait commis la terrible imprudence de traverser les voies. Un rapide ne lui a laissé aucune chance.
Le 14/05/63, la mort tente de frapper à Courthézon. C'est sans compter avec le courage et le sang froid de la GB, Mme Peyrard. Il est 16H45 lorsqu'elle aperçoit une personne s'élançant à la "rencontre" du train annoncé! N'écoutant que son courage, elle s'élance à son tour pour rattraper la désespérée, en gesticulant pour attirer l'attention du mécano. Geste suffisamment éloquent pour que celui ci, actionne le frein d'urgence. Grâce à cela la personne est sauvée et dirigée vers l'hôpital. Acte qui vaut à cette courageuse cheminote un diplôme d'honneur avec citation. Il est à noter que, un an auparavant, elle avait déjà sauvé une personne âgée engagée sur son P.N.!
Mme Julian, GB au Thor, est à l'honneur en 1968. Sa gentillesse et son dévouement lui valent le Louis d'or du sourire ainsi que... Son poids en grappes de raisins, offert par le Syndicat National des Producteurs de Raisin de Table. Le 3/10, une cérémonie se déroule dans la "capitale mondiale" du chasselas. Sous les applaudissements, face aux caméras de télévision et sous l'oeil du garde champêtre, elle se livre de bonne grâce à la pesée.
Fin 1999, un incident singulier se produit à Entraigues. Au terme d'une randonnée, un cavalier et sa monture sont confrontés à une situation inattendue. Alors que le cheval traverse le PN de la Palerme, il se coince un sabot entre rail et contre-rail... Ce n'est qu'avec l'aide des S.P. et d'un vétérinaire, que la pauvre bête est tirée de ce mauvais pas... On peut, pour une fois, se dire heureux de ne voir la ligne que faiblement fréquentée.
Miracles aux PN Vauclusines en 2007. Le 27 juin un homme de 56 percute la barrière du PN du Thor. Heurté par le train il est éjecté de son automobile et n'est que légèrement blessé! A Joncquerette en novembre, une vedénaise de 40 ans circulant sur un scooter n'a pas aperçu les barrières baissées et leur à, remontant la file des véhicules déjà arrêtés, foncé dedans sans même freiner. Déséquilibrée par le choc violent la cyclomotoriste et son deux roues se sont retrouvés sur la voie, rebondissant sur l'arrière du T.G.V. qui venanit de terminer le franchissement à vive allure. Prise en charge par les pompiers la conductrice du scooter n'a été, miraculeusement, que légèrement blessée.
Peu d'informations sur un incident s'étant déroulé au Thor le 9/11/2007. Il semblerait qu'un automobiliste, pour une raison qui m'échappe, ait abandonné sa voiture sur le passage à niveau. Il n'est pas blessé dans la collision qui s'en ets suivie avec le train.
C'est le 4 février 2009 que se déroule le premier drame de cette nouvelle année. Une jeune promeneuse est happée par un train à Mornas, à la hauteur de l'ancien PN des Issarts. La jeune fille aurait, semble t'il, voulu rattraper son chien qui s'était échappé. Début avril une tragédie se déroule au Petit-Palais. En pleine nuit une personne y est tuée par un train. Après une enquête longue et difficile, la thèse du suicide semble la plus plausible pour la gendarmerie. Le 1 décembre une collistion se produit à Mérindol entre un train et une automobile. Le sexagénère au volant de son véhicule semble ne pas avoir réussi à s'arrêter à temps. Il a percuté les barrières et s'est retrouvé sur la voie où le train la heurté. L'automobiliste est malheureusement décédé dans l'accident.
L'un des rares passages à niveau de la ligne de Sorgues à Carpentras qui est resté après la rénovation de la ligne.
On note, en janvier 2010, un camion en fort mauvaise posture sur le PN de Châteauneuf de Gadagne. La présence de neige sur la route a géné le conducteur qui s'est retrouvé piègé sur la voie ferrée avec son engin. La suppression des passages à niveau de la ligne de Sorgues à Carpentras en vue de la réouverture aux voyageurs suscite des débâts nombreux et animés, notamment à Althen les Paluds. Deux drames sont évités de justesse le même jour à deux PN différents. Un autobiliste manque percuter les voitures arrêtées et termine son embardée accidentellement sur le PN Ste Catherine à Montfavet alors que les barrières sont fermées. Le TER qui arrive à pleine vitesse heurte l'utilitaire arrachant la partie avant. Miraculeusement le conducteur sort indemne de cet épouvantable accident. L'après midi, à Mérindol, une automobilte perd le contrôle de son véhicule et enfonce les barrières du PN. Dans un réflexe désespéré, la conductrice effectue immédiatement une marche arrière salvatrice. Il était temps, un train de marchandise franchit le passage et... effleure le capot de la voiture. Quant au PN de Fontcouverte il est, lui, remplacé par un pont route inaufuré à la fin de l'année.
Un octogénère est percuté par une train au PN Ste Catherine à Montfavet le 24 juillet 2011. Plusieurs hypothèses sont envisagées par les enquêteurs après cette tragédie.
Le 30 août 2011 une automobile est percutée par un train de marchandises au PN de Cheval Blanc. Le véhicule est trainé sur plusieurs centaines de mètres et son occupante mortellement blessée.
Alors, amis ferroviphiles, lorsque durant vos déplacements vous aurez encore (cela se fait de plus en plus rare) à patienter quelques minutes devant la demi barrière en matière plastique d'un P.N. automatique, ayez une petite pensée pour toutes les personnes qui ont dû, maintes fois, manipuler les lourdes barrières rouges et blanches de l'époque... N'oubliez jamais, non plus, les règles de sécurité les plus élémentaires car les passages à niveau restent les points les plus dangereux du réseau, pour preuve la liste d'accidents survenus dans notre seul département de Vaucluse.
Je profite de cet article pour passer un appel: Je recherche tout éléments relatif aux PN de Vaucluse, photos, témoignages, etc., mais je compte aussi sur vous pour avoir la gentillesse de me signaler les quelques maisonnettes encore debout afin que j'aille les photographier avant qu'il ne soit définitivement trop tard. Merci à tous.
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